À contre-courant – Introduction et première partie (5/2021)


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Achat et introduction de la 1ère partie (vidéo et texte) : 3€

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EN 2017, J’AI PUBLIÉ UNE ENQUÊTE SUR LA QUALITÉ des eaux de surface et souterraines dans l’Union Européenne (UE) sur ventdouxprod. Dans cette enquête, je me suis concentré sur deux choses : la loi, européenne et française ; la gestion à plusieurs échelles géographiques (UE, France, bassin hydrographique ou sous-bassin, etc.), en zoomant sur le bassin Artois-Picardie au nord de la France (20 000 km² et 4,7 million d’habitants).

Pourquoi revenir sur ce sujet quatre ans après ? Principalement parce que l’UE a promis de réévaluer sa loi majeure sur la qualité de l’eau d’ici à 2020 : la Directive cadre sur l’eau (DCE) de 2000 qui s’impose à tous les Etats membres de l’UE.

Il y a d’autres raisons qui me poussent à revenir sur le sujet. De nouvelles données sont disponibles sur l’état des eaux superficielles et souterraines en Europe. Une autre raison est l’enjeu toujours plus important de la ressource en eau à mesure que la population augmente, que les pressions sur l’eau s’accroissent dans une multitude de bassins hydrographiques et que le réchauffement climatique s’intensifie.

En Europe, la qualité de nos rivières et de nos nappes phréatiques, ainsi que l’évolution de la loi européenne sur l’eau, disent pratiquement tout de nos systèmes économiques et politiques, de nos relations à l’environnement et aux autres. Il suffit de regarder l’eau et sa loi pour comprendre où on en est en tant que collectivités humaines. Enfin, le thème de l’eau me motive pour plonger dans le monde des séries documentaires vidéos.

Cette série vidéo est fondée sur une grande diversité de sources, juridiques, scientifiques et journalistiques pour l’essentiel. Vous pouvez vérifier leur pertinence dans le texte rattaché à chaque vidéo. Toutes mes sources sont citées paragraphe par paragraphe.

Contenu de la 1ère partie

I. Notions de base

  • I.1. Masses d’eau [0mn07s sur la vidéo youtube]
  • I.2. L’état des masses d’eau [1mn07s]
  • I.3. Critique de l’évaluation [3mn55s]
  • I.4. Potentiel écologique [7mn26s]
  • Sources

 

I. NOTIONS DE BASE

I.1. Masse d’eau

Dans l’Union Européenne, quand on parle de gestion de l’eau, on parle de masses d’eau dans des districts hydrographiques. La France métropolitaine en compte six. Chaque district hydrographique comme le bassin Artois-Picardie contient plusieurs masses d’eau, souvent plusieurs douzaines, voire plusieurs centaines. Une masse d’eau de surface ou superficielle peut être une partie ou la totalité d’une rivière ou d’un fleuve, un canal, un lac, ou encore une masse d’eau côtière ou de transition entre côte et intérieur des terres. Une masse d’eau souterraine désigne un certain volume d’eau dans un ou dans plusieurs aquifère(s) ; l’aquifère représente « un sol ou une roche susceptible de contenir de l’eau en mouvement ».

I.2. L’état des masses d’eau

Cette série vidéo explique la qualité de l’eau en Europe. Je m’intéresse donc à la façon dont cette qualité est évaluée.

Les masses d’eau superficielle ont un état chimique et un état écologique. Pour l’état chimique, on mesure la concentration dans l’eau de 53 substances (des métaux, des hydrocarbures, des pesticides et des solvants entre autres). On fixe un seuil limite de pollution pour chacune des 53 substances. Quand aucun seuil limite n’est dépassé, l’état chimique de la masse d’eau superficielle est jugé bon. Si un seul seuil est dépassé, il est jugé mauvais (European parliament and council of the EU, 2013, annexes I and II).

L’état écologique d’une masse d’eau superficielle oscille entre très bon et mauvais. Pour l’obtenir, on mesure une série d’éléments : la concentration dans l’eau de l’azote, du phosphore, de quelques métaux (arsenic, chrome, cuivre, zinc) et pesticides et de l’oxygène dissout (éléments physico-chimiques) ; la température de l’eau, sa salinité et son acidité (sauf en bord de mer pour l’acidité) ; on mesure aussi les populations de poissons, de plantes et d’invertébrés, notamment en termes d’abondance ; enfin, on mesure les modifications humaines de la masse d’eau, par exemple les modifications des rives et du courant d’une rivière, la présence de barrages, parmi d’autres éléments. On prend ensuite tous ces éléments (concentration de polluants, populations sauvages, modifications humaines de la masse d’eau, etc.), et on les compare avec une masse d’eau similaire où l’impact humain est très faible ; c’est comme cela qu’on obtient l’état écologique (EP and CEU, 2000, annex V ; EauFrance, 2020 [a]).

Concernant les masses d’eau souterraine, on a établi des seuils de concentration dans l’eau pour douze types de polluants (90 polluants au maximum dans certains Etats membres). Si un seul seuil est dépassé, l’état chimique est considéré comme mauvais. Par exemple, on a fixé un seuil de 1 µg/l pour le mercure, de 50 mg/l pour les nitrates ou encore de 0.5 µg/l pour l’ensemble des pesticides, pour le plomb ou pour le phosphore. Si aucun seuil n’est dépassé, il faut remplir deux autres conditions pour avoir une masse d’eau souterraine en bon état : les polluants présents dans l’eau souterraine ne doivent pas empêcher le bon état de la masse d’eau superficielle voisine ; ces polluants souterrains ne doivent pas y créer d’autres problèmes, de salinité par exemple (European parliament and council of the EU, 2014 ; EP and CEU, 2006, annexes I and II ; EP and CEU, 2000, annex V – 2.3).

I.3. Critique de l’évaluation

Que penser de l’évaluation de l’état chimique des masses d’eau souterraine et superficielle ? Selon l’agence européenne pour l’environnement (AEE) de l’UE, « sur les milliers de produits chimiques quotidiennement utilisés, relativement peu sont déclarés dans le cadre de la DCE ». L’agence européenne pour l’environnement aime les euphémismes : elle utilise l’expression « relativement peu » alors que seulement 53 produits chimiques sur plusieurs milliers sont évalués pour les eaux superficielles, et quelques douzaines pour les eaux souterraines. L’évaluation de l’état chimique des eaux superficielles et souterraines est, de ce fait, extrêmement déficitaire. Cette évaluation n’est pas fiable (European environment agency, 2018 [a], p.70).

Sur la question, l’AEE reconnaît elle-même qu’il existe « une lacune de connaissances au niveau européen concernant n’importe laquelle » des milliers de substances non évaluées. Elle admet qu’on ignore « si ces substances posent un risque significatif à l’environnement aquatique ou via ce dernier, soit individuellement, soit en combinaison avec d’autres substances » (European environment agency, 2018 [a], p.52, 70).

L‘évaluation de l’état chimique est donc fondée sur la concentration dans l’eau d’une infime minorité des produits chimiques existants. La concentration est mesurée produit chimique par produit chimique. Mais l’impact du mélange de multiples produits sur la qualité chimique de l’eau est ignoré. Non sans un certain humour noir, involontaire ou déplacé, l’AEE déclare que « le contrôle de davantage de substances pourrait aboutir à une chance plus élevée de non atteinte du bon état chimique ». En fin de compte, l’état chimique validé par l’UE est beaucoup trop optimiste  et bien supérieur à l’état chimique réel (European environment agency, 2018 [a], p.52, 70).

L’évaluation de l’état écologique des masses d’eau superficielle a aussi des défauts. Peut-être moins rédhibitoires que ceux de l’état chimique, ils rendent cependant l’évaluation bien trop optimiste. Par exemple, cette évaluation néglige bon nombre d’espèces et de couvertures végétales.

En Artois-Picardie, l’évaluation de l’état écologique ne se préoccupe pratiquement pas de la disparition des loutres et des castors autrefois présents ; elle se désintéresse presque totalement de l’extrême rareté des saumons et des anguilles, auparavant beaucoup plus abondantes dans la région ; l’évaluation ne s’intéresse pas davantage à la fragmentation des forêts anciennes, sans parler des forêts primaires, inexistantes. Les forêts anciennes sont celles qui existent depuis au moins 250 ans. Pourtant, ces espèces animales et ces forêts contribuent de manière significative à la biodiversité et aux chaînes alimentaires dans les écosystèmes aquatiques ; elles peuvent même exercer une influence sur les propriétés physico-chimiques de l’eau (AEAP et al., 2015, p.43-44 ; CRPF Poitou-Charentes, 2017 ; Decocq, 2013 ; Ministère TES, 2019 [a] ; ONCFS, 2019 ; Préfecture de la région nord, 2007, p.13-16 ; Veron, 1992).

I.4. Potentiel écologique

Abordons une dernière notion de base : le potentiel écologique. Grâce aux législateurs européens, l’état écologique peut céder sa place au potentiel écologique. Pour cela, les législateurs ont inventé la masse d’eau « artificielle ou fortement modifiée ». Artificielle signifie créée par l’activité humaine ; fortement modifiée veut dire que la masse d’eau a subi d’importantes altérations humaines comme le remplacement de la rivière par un canal. La catégorie artificielle et fortement modifiée concerne pas moins de 17% des masses d’eau européenne. (13% fortement modifiées) ; le pourcentage se hisse à 44% en Artois-Picardie (European environment agency, 2018 [a], p.9 ; Comité de bassin Artois-Picardie, 2015, p.47-59 ; EP and CEU, 2000, article 2).

Une partie de l’évaluation du potentiel écologique est la même que celle de l’état écologique : c’est le cas pour des éléments physico-chimiques tels que la concentration dans l’eau de l’azote, du phosphore, de quatre métaux ou de l’oxygène dissous. Pour le reste, le potentiel écologique rabaisse de plusieurs crans supplémentaires l’évaluation déjà déficitaire de l’état écologique. Ainsi, ce potentiel permet de rabaisser les exigences d’abondance et de diversité pour la faune et pour la flore ; avec le potentiel, on peut ignorer la pente du cours d’eau, l’état de ses rives, ses variations de débits ou encore sa continuité écologique1. Or, ces conditions morphologiques sont essentielles pour la diversité et pour la qualité des habitats de la faune et de la flore (EauFrance, 2020 [b] ; Etat français, 2021 [a] ; EP and CEU, 2000).

Un État membre de l’UE peut facilement classifier une masse d’eau dans la catégorie artificielle ou fortement modifiée. Il lui suffit pour cela de choisir parmi plusieurs justifications légales. L’État membre peut la classifier s’il estime qu’une masse d’eau non classifiée entraînerait des « coûts disproportionnés » ; le seuil de ces coûts disproportionnés est laissé à l’État. Un État membre peut utiliser d’autres prétextes pour justifier la classification en artificielle ou fortement modifiée : par exemple, l’Etat peut classifier la masse d’eau s’il estime que la non classification aurait des « incidences négatives importantes » sur les « les loisirs », sur « la navigation » ou encore sur « la production d’électricité ». Avec ces justifications, la Directive cadre sur l’eau, dans sa version valide en 2021, autorise les États membres de l’UE à maintenir des milliers de masses d’eau dans un état mutilé (EP and CEU, 2000, article 4 and annex V).

Sources

AEAP et al., 2015. Partez à la rencontre de la biodiversité – Les poissons et leurs habitats dans le bassin Artois-Picardie. Page internet accédée le 26/5/2021

Comité de bassin Artois-Picardie, 2015. SDAGE 2016-2021 du bassin Artois-Picardie. Page internet accédée le 26/5/2021

CRPF Poitou-Charentes, 2017. UNE FORÊT PRODUCTRICE DE BOIS MAIS PAS SEULEMENT. Page internet accédée le 26/5/2021

Decocq, 2013. Biodiversité et fertilité selon l’ancienneté de l’état boisé. AgroParisTech. Page internet accédée le 26/5/2021

EauFrance, 2020 [a]. Règles d’évaluation de l’état des eaux. Page internet accédée le 26/5/2021

EauFrance, 2020 [b]. Glossaire : Eaux, milieux marins et biodiversité. Page internet accédée le 26/5/2021

Etat français, 2021 [a]. Arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d’évaluation de l’état écologique, de l’état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface pris en application des articles R. 212-10, R. 212-11 et R. 212-18 du code de l’environnement. Page internet accédée le 26/5/2021

European environment agency, 2018 [a]. European waters: Assessment of status and pressures 2018. Page internet accédée le 26/5/2021

European parliament and council of the EU [EP and CEU], 2014. Commission Directive 2014/80/EU of 20 June 2014 amending Annex II to Directive 2006/118/EC of the European Parliament and of the Council on the protection of groundwater against pollution and deterioration Text with EEA relevance. Page internet accédée le 26/5/2021

EP and CEU, 2013. DIRECTIVE 2013/39/EU OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL of 12 August 2013 amending Directives 2000/60/EC and 2008/105/EC as regards priority substances in the field of water policy. Page internet accédée le 26/5/2021

EP and CEU, 2006. Directive 2006/118/EC of the European Parliament and of the Council of 12 December 2006 on the protection of groundwater against pollution and deterioration. Page internet accédée le 26/5/2021

EP and CEU, 2000. Directive 2000/60/EC of the European Parliament and of the Council of 23 October 2000 establishing a framework for Community action in the field of water policy. Page internet accédée le 26/5/2021

Ministère TES, 2019 [a]. Plan National d’Actions en faveur de la Loutre d’Europe (Lutra lutra), 2019-2028. Page internet accédée le 26/5/2021

ONCFS, 2019. Répartition du castor sur le réseau hydrographique (ONCFS). Page internet accédée le 26/5/2021

Préfecture de la région nord, 2007. PLAN DE GESTION ANGUILLE DE LA FRANCE. Page internet accédée le 26/5/2021

Veron, 1992. Histoire biogéographique du Castor d’Europe Castor fiber Rodentia (Mammalia). Page internet accédée le 26/5/2021

1 Continuité écologique : libre circulation des espèces et bon écoulement du transport naturel des sédiments.

Achat et introduction de la 1ère partie (vidéo et texte) : 3€

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