Contenu de la 5ème et dernière partie
V. Droit d’intoxication
- V.1. Overdose autorisée de pesticides synthétiques [0 mn 17 s sur la vidéo]
- V.2. Dopage légal aux engrais [7 mn 12s]
- V.3. Agriculture biologique : marginalisation calculée [11 mn 16s]
- V.4. Eaux usées « plombées » [15 mn 54 s]
- V.5. Restauration écologique sous-financée [21 mn 24 s]
- Générique de fin
Introduction et 1ère partie – 2ème partie – 3ème partie – 4ème partie
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V. DROIT D’INTOXICATION
V.1. Overdose autorisée de pesticides synthétiques
EN FRANCE, LES FERMIERS QUI UTILISENT DES PESTICIDES ne paient aucune redevance et aucune taxe pour pollution de l’eau aux pesticides. Ce sont les distributeurs de pesticides et de graines traitées qui doivent s’acquitter d’une redevance. Ailleurs, comme au Danemark et en Italie où les pesticides sont taxés, ces taxes n’ont pas transformé le monde agricole conventionnel d’une manière un tant soit peu notable. Même en Italie, plus avancée que la France en matière d’agriculture biologique avec 17% de la surface agricole italienne utilisée en bio, l’essentiel des cultures est pesticidé. Certes, les ventes de pesticide en Italie ont un peu diminué cours des années 2010. Mais environ 50 000 tonnes de pesticides y ont été vendues en 2021, avec une taxe très basse, autour de 2% du prix du produit. Dans l’Union Européenne, les ventes de pesticides ont très peu baissé entre 2011 et 2021 avec un peu plus ou un peu moins de 350 000 tonnes vendues chaque année (Agence de l’eau Loire-Bretagne, 2020 [a] ; EEA, 2023 [a] ; Eurostat, 2023 [a] ; Eurostat, 2020 [b] ; PAN Europe, 2024).
En France, la redevance sur les pesticides imposée à des distributeurs souvent fortunés comme le groupe industriel Bayer n’a guère d’impact dissuasif. Le droit européen valide cette tolérance à l’égard de l’industrie des pesticides, pourtant l’une des plus toxique pour l’environnement, surtout pour l’eau. La redevance sur les pesticides oscille entre 0.90 euro et 9 euros le kilo de pesticide vendu, en fonction du niveau de toxicité. En Europe, le chiffre d’affaires 2019 du marché des pesticides avoisinait les 12 milliards d’euros (Agence de l’eau Loire-Bretagne, 2020 [a] ; Sénat, 2020 [a] ; Investigate Europe, 2022).
Dans la région Hauts-de-France qui englobe la quasi totalité du district hydrographique Artois-Picardie, les agriculteurs utilisent des pesticides sur environ 95% des terres cultivées. En Artois-Picardie, un million d’hectares sont traités aux pesticides. Dans ce seul district, la vente de pesticides classés toxiques, cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction est passée de 419 tonnes en 2013 à 1968 tonnes en 2018, soit plus de 100 kilos par ferme conventionnelle. En 2018, 2743 tonnes de pesticides classés dangereux pour l’environnement, en plus des 1968 tonnes citées, ont été vendus. En France, les pesticides agricoles sont énormément utilisés ; leur vente a cru de 25% entre 2008 et 2018 et dépasse aujourd’hui les 85 000 tonnes par an. En Artois-Picardie, des pesticides tels que l’isoproturon et le cyperméthrine dégradent un nombre important de masses d’eau souterraines et superficielles. L’impact sur les masses d’eau du mélange de différents pesticides est inconnu. 300 pesticides différents sont utilisés en Artois-Picardie (AEAP, 2019 [a], p.65 ; Agreste Hauts-de-France, 2019 ; Comité de bassin Artois-Picardie, 2020 [a], p.31, 43, 76 ; Fondation Nicolas Hulot, 2021, p.7, 14 ; Foucart, 2020 ; Observatoire Inosys 2019, p.3-4).
On dispose encore de relativement peu de données sur le dépassement du seuil de pollution aux pesticides en eaux de surface. Parmi ces données, entre 2016 et 2021, plus de 50% des sites de contrôle ont dépassé ce seuil de pollution aux pesticides en Hollande, en Hongrie, au Luxembourg et en République Tchèque ; entre 25 et 50% des sites de contrôle ont dépassé le seuil en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, en Lituanie et en Suède (EEA, 2024).
En dehors de la grave pollution chimique de l’eau, l’exposition aux pesticides peut éliminer une bonne partie des populations d’invertébrés et d’insectes qui habitent le milieu aquatique. Cela peut fortement perturber la chaîne alimentaire et l’ensemble des écosystèmes auxquelles ces populations appartiennent (Beketov et al., 2013 ; Inserm, 2013).
Adopté sous la présidence Macron en 2019, le plan ecophyto II+ vise une réduction de l’usage des pesticides agricoles. Ce plan est fondé sur des incitations peu convaincantes et, surtout, sur des restrictions dérisoires à l’usage des pesticides. Ecophyto II+ ne cherche en aucun cas à se débarrasser de la plupart des pesticides toxiques ; ce plan gouvernemental entend juste éliminer une poignée d’entre eux parmi les plus nocifs, remplaçables par d’autres dont la toxicité est un peu moins forte. En bref, ce plan gouvernemental n’interdit absolument pas aux fermiers l’usage de la plupart des pesticides, mais préfère les encourager à limiter leur utilisation (Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 2019).
Même son de cloche, en dépit des apparences plus favorables aux masses d’eau, à l’échelle de l’UE. En 2022, la commission européenne prétendait viser une réduction de 35 à 50% de l’usage des pesticides d’ici à 2030 pour tous les Etats membres de l’UE. Pour cela, la commission s’appuyait sur une réglementation qu’elle promettait juridiquement contraignante : la Regulation on the Sustainable Use of Plant Protection Products. En fait, il s’agissait encore d’une réglementation greenwashing qui vient juste d’être abrogée. Malgré cette abrogation, cette réglementation vaut le coup d’oeil car elle réapparaîtra probablement, un peu modifiée, dans le futur. La commission européenne ne se donne pas les moyens requis pour faire respecter une réduction significative de l’usage des pesticides. Selon les articles 6 et 11 de la réglementation, si un Etat membre ne respecte pas l’objectif de réduction de cet usage, il devra juste fournir des « justifications ». Est-ce que l’Etat membre se verrait infliger une petite amende, non dissuasive, s’il ne respecte pas l’objectif ? Rien n’est moins sûr. D’autre part, d’après l’article 19 de la réglementation, on pourra continuer à déverser des pesticides synthétiques à plus de 3 mètres des masses d’eau de surface. Début 2024, au grand soulagement des partisans de l’agriculture pesticidée, cette réglementation faussement ambitieuse a donc été annulée en raison de protestations d’exploitants et de syndicats agricoles dans plusieurs pays de l’UE et parce que la grande majorité des membres du parlement européen s’y sont également opposés (Euronews, 2024 [a] ; European commission 2022 [a], art. 6, 11, 19).
Les pesticides peuvent nous contaminer autant que les masses d’eau. En tant qu’êtres humains, nous sommes aussi, en grande partie, des “masses d’eau”, vulnérables à ce poison : 55 à 60% de notre corps est constitué d’eau ; le pourcentage grimpe à 73% pour le cerveau et le cœur et à 75% pour un nouveau-né. Notre cerveau a besoin d’eau pour fabriquer des hormones et des neurotransmetteurs, ces substance qui assurent le passage de l’information entre les cellules nerveuses. L’eau de notre corps régule notre température corporelle via la transpiration et la respiration, aide à la circulation de l’oxygène dans le corps, parmi d’autres fonctions. Que nous ingérions des pesticides via la nourriture ou via l’eau, que nous les absorbions par la peau ou par inhalation, l’exposition répétée aux pesticides est susceptible, entre autres problèmes, d’augmenter la probabilité d’attraper certains cancers, de perturber le développement du fœtus et de contribuer à l’infertilité masculine (Beketov et al., 2013; Inserm, 2013 ; Koutros et al., 2016 ; Sharma et al., 2015 ; USGS, 2020).
V.2. Dopage légal aux engrais
Dans son plan d’action « zéro pollution » de 2021, la commission européenne met les bouchées doubles pour tout repeindre en vert à l’horizon 2050. Au-delà d’un greenwashing omniprésent, parmi les sujets mis au second plan dans le plan d’action figurent les engrais azotés. Ils sont expédiés en quelques lignes. En voici deux extraits : « La commission européenne continuera de travailler avec les Etats membres dans le but d’améliorer les services nationaux de conseil pour les fermiers vers des pratiques moins polluantes, notamment vers la baisse des émissions d’ammonium et de nitrates. […] La commission évalue si oui ou non une autre législation est nécessaire pour plafonner les émissions d’ammonium ». Si une nouvelle législation devait voir le jour, il ne fait aucun doute qu’elle continuerait à tolérer un niveau élevé de pollution aux engrais azoté. En témoigne un officiel de la commission européenne s’exprimant, en 2022, à propos d’une requête hollandaise d’assouplissement des règles concernant les nitrates. Selon cet officiel, une dérogation aux règles existantes devrait se faire « de manière restreinte et en conformité avec le droit qui les autorise ». Le droit en question est indulgent envers les pollueurs aux nitrates (European commission, 2021 [a] ; Foote, 2022).
En effet, au sein de l’Union Européenne, les agriculteurs qui respectent la directive nitrates de 1991 n’ont pas de souci à se faire quant à leur usage excessif d’engrais azotés tels que les nitrates. Le législateur européen est généreux avec les agriculteurs qui en dépendent. La directive de 1991 permet aux fermiers d’appliquer jusqu’à 170 kilos d’azote issu de fumier organique, par hectare et par an, dans les zones désignées vulnérables aux nitrates. Cette quantité entraîne une pollution azotée largement répandue dans l’espace agricole conventionnel européen (EP and CEU, 1991, introduction, articles 1, 5, annex III).
Concrètement, au sein du district hydrographique Artois-Picardie au nord de la France par exemple, entre 2012 et 2017, dans huit masses d’eau souterraine sur dix-sept (toutes en milieu crayeux), les nitrates à eux seuls suffisent à rendre médiocre l’état chimique de l’eau (Comité de bassin Artois-Picardie, 2020 [a], p.40-42).
En moyenne en France, chaque hectare de surface agricole utile reçoit 79 kilos d’azote organique par an dont 95% provient de l’élevage. A cela s’ajoute 74 kilos annuels d’azote minéral par hectare. En conséquence, en France en 2018-2019, 20% des points de contrôle en eau superficielle continentale (19,6% pour être exact) présentaient une concentration moyenne annuelle de nitrates supérieure à 25 mg/l. On passe à quasiment 60% des points de contrôle avec une concentration moyenne annuelle supérieure à 10 mg/l. Or, on sait que, dès qu’on atteint les 7 mg/l, les nitrates peuvent réduire la biodiversité. En milieu aquatique saturé en nitrates, dès qu’on atteint les 18 mg/l, certaines plantes comme les algues planctoniques ont tendance à proliférer. Parallèlement, à partir de 18 mg/l, la teneur en oxygène de l’eau et la densité de la flore et de la faune sauvages tendent à diminuer. On appelle ce phénomène l’eutrophisation (Ministère de la transition écologique, 2020 [a], p.4 ; OFB, 2020 [a], p.78 ; OIEAU, 2020 [a], p.12 ; Sutton et al., 2011, p.xxix).
Les éleveurs conventionnels sont responsables d’une large part de la pollution aux nitrates. Pourtant, en France par exemple, ils paient une redevance extrêmement basse pour l’excès d’azote et de phosphore qu’ils génèrent dans l’environnement aquatique. Ainsi, ces éleveurs ne paient rien quand ils ont moins de 90 vaches laitières, moins de 450 truies ou moins de 3000 poulets par exemple (équivalent à 90 “unités gros bétail” dans la loi française). Au-delà de ces seuils, par exemple au-delà de 90 vaches laitières (90 unités gros bétail), l’éleveur paiera 3 euros par an et par vache laitière. Un éleveur possédant 6000 poulets paiera donc moins de 600 euros par an pour pollution à l’azote et au phosphore, soit 10 centimes d’euro le poulet (AEAP, 2008 [a] ; Ministère de la transition écologique, 2020 [a], p.32 ; Parlement français, 2020 [a], art. L213-10-2).
V.3. Agriculture bio : marginalisation calculée
Dans les bassins hydrographiques ruraux où elle prédomine depuis plusieurs années, l’agriculture biologique exerce normalement une influence positive marquée sur l’environnement aquatique, au contraire de l’agriculture conventionnelle. Une agriculture bio dominante dans ces bassins permet généralement une qualité chimique de l’eau superficielle bien meilleure que dans les mêmes bassins dominés par l’agriculture conventionnelle dépendante des pesticides synthétiques et des engrais chimiques. Bien gérée, l’agriculture bio peut aussi contribuer à la restauration de l’état écologique global des masses d’eau.
En France comme ailleurs dans l’UE, l’agriculture bio a bien progressé au cours de la décennie 2010. Ne serait-ce qu’entre 2014 et 2021, sa surface nationale a plus que doublé, passant de 1,1 million d’hectares à 2,8 millions d’hectares. Les bassins hydrographiques où l’agriculture bio prédomine sont néanmoins extrêmement minoritaires en France et dans l’UE. En 2021, 90% de la surface agricole utile (SAU) française restait conventionnelle, malade entre autres de ses excès en pesticides et en engrais synthétiques. L’agriculture conventionnelle reste de loin la grande priorité agricole de l’Etat et du secteur agroalimentaire français. La même conclusion est valable dans tous les autres Etats membres de l’UE. En 2021, seulement 9,9% de la surface agricole de l’UE était bio. Par ailleurs, les ventes de produits alimentaires bios fléchissent depuis le début des années 2020 à cause de l’inflation et des difficultés économiques souvent croissantes d’une majorité de la population. Ce phénomène pourrait faire stagner ou réduire la surface agricole biologique en France comme en Europe (Agence bio, 2020 [a], p.23 ; Le Point, 2022 ; Ministère ASA, 2022 ; Toute l’Europe, 2023).
L‘agriculture bio française et donc la restauration des masses d’eau en zone agricole font face à de sérieux obstacles. Par exemple, en 2021 en France, 6% seulement de la SAU nationale consacrée aux cultures céréalières et oléagineuses était biologique. Or, il s’agit de deux secteurs agricoles majeurs en France, couvrant plus de 11 millions d’hectares en conventionnel ; seulement 50 000 hectares de SAU française cultivée en légumes est bio. En Artois-Picardie à l’extrémité nord de la France, moins de 3% de la SAU est biologique (Agence bio, 2022 [a], p.13 ; Agreste, 2020 [a], p.10).
Les fonds consacrés à l’agriculture bio via la politique agricole commune (PAC) de l’UE ne corrigent pas le problème de la pollution agricole des masses d’eau. Au contraire, ils renforcent ce problème. La PAC est promulguée par l’UE pour aider les agriculteurs. Les décideurs de la PAC sont la Commission européenne, le conseil des ministres de l’agriculture et le parlement européen. Pour la période 2023-2027, sur les 9 milliards d’euros annuels de la PAC consacrés à l’agriculture française dans son ensemble, moins de 350 millions d’euros vont à l’agriculture bio, soit 4% des fonds totaux de la PAC. Le fait que le gouvernement français ait alloué 90 millions d’euros de fonds d’urgence supplémentaires en 2024 pour éviter l’effondrement de nombreuses exploitations bios ne change rien à l’écrasante domination de l’agriculture conventionnelle. 95% des subventions agricoles vont toujours au secteur conventionnel. Au regard de ce sous-investissement pour l’agriculture bio, il est clair qu’aux yeux des décideurs de la PAC, il importe peu que l’agriculture conventionnelle soit largement responsable de la médiocre qualité d’un très grand nombre de masses d’eau nationales (Ministère ASA, 2022 [b] ; Ministère ASA, 2022 [c] ; Ministère ASA, 2024 [a])
V.4. Eaux usées « plombées »
Depuis les années 1990, dans une bonne partie de l’UE, les progrès en matière de gestion des eaux usées et dans les stations d’épuration sont indéniables. Ils ont permis de réduire leurs impacts nuisibles aux masses d’eau. Grâce à des investissements importants de l’UE, des Etats membres et des collectivités locales, le rendement épuratoire en station d’épuration a été sensiblement amélioré. Cependant, en 2018 dans l’UE, les eaux usées urbaines représentaient encore une « pression significative » sur un très grand nombre de masses d’eau superficielle, et notamment sur 2400 d’entre elles en France, 1900 masses d’eau en Espagne, 2100 en Allemagne ou encore 1700 en Italie (Comité de bassin Artois-Picardie, 2020 [a], p.65-67, 70 ; EEA, 2020 [a], p.35, 55 ; EEA, 2018 [b]).
A cela s’ajoute un problème majeur : cette “pression significative” due aux eaux usées urbaines tient peu compte de l’impact des polluants émergents. Ces derniers sont principalement représentés par les résidus de médicaments et par les produits d’hygiène corporelle. Or, en station d’épuration, les taux d’élimination de ces polluants émergents sont généralement médiocres. Selon plusieurs études, des taux d’élimination inférieurs à 70%, voire à 30%, ne sont pas rares, par exemple pour les résidus d’antibiotiques, d’antidépresseurs et de bêta-bloquants. Ce qui n’est pas éliminé s’échappe donc vers les masses d’eau. Dans les stations d’épuration, les traitements adéquats des polluants émergents sont encore rares, notamment en raison de leur coût élevé. Parmi ces traitements figurent le processus d’ozonation fondé sur l’infusion d’ozone dans l’eau, mais qui reste coûteux et énergivore ; un autre traitement, nommé osmose inverse, consiste à faire passer l’eau par une membrane semi perméable (Choubert et al. 2012, p.12-13 ; Comité de bassin Artois-Picardie, 2020 [a], p.65-67, 70 ; EEA, 2020 [a], p.35, 55 ; EEA, 2018 [b] ; Natura-Sciences, 2020 ; Soulier et al., 2011, p.72-75).
Le ruissellement des eaux pluviales est un autre enjeu globalement mal traité qui réduit les gains réalisés en matière de traitement des eaux usées. Au cours des trente dernières années, gouvernements locaux et nationaux ont fait des efforts pour s’y atteler. Mais à l’échelle des districts hydrographiques ou des grandes métropoles, leurs efforts sont presque systématiquement inaptes à relever le défi du ruissellement des eaux pluviales.
En zone rurale, d’énormes quantités d’eaux pluviales chargées en produits chimiques agricoles, comme les engrais azotés et les pesticides, ruissellent vers les masses d’eau.
En ville, le problème est différent : les dégâts, dans les masses d’eau, dus au ruissellement urbain des eaux pluviales, ont deux origines principales.
Il y a d’abord une concentration excessive de la population et des activités dans des secteurs trop densément construits. En ville, les rues peuvent prendre l’aspect de ruisseaux lors de fortes pluies ; parfois, une partie du sol peut être emporté par les eaux sur les terrains et la voirie en construction.
La deuxième origine des dégâts du ruissellement urbain est l’omniprésence des zones imperméabilisées ; ces zones imperméabilisées aggravent le ruissellement dans les zones trop densément construites.
Globalement, dans les villes de l’UE, malgré des progrès locaux lorsque l’urbanisme est bien conçu, le ruissellement urbain empire depuis plus de 30 ans. Entre 1990 et 2018, l’artificialisation des terres a gagné plus de 500 km² par an, entraînant une pollution accrue des eaux. Même dans les villes du sud de l’UE où le changement climatique devrait entraîner une baisse globale des précipitations, des pluies plus intenses sur des périodes plus courtes devraient se traduire par une pollution accrue de l’eau (Pistocchi, 2020).
Lors de pluies intenses, les tuyaux des réseaux unitaires d’assainissement ne sont pas suffisamment grands pour transporter toute l’eau. Le surplus est donc évacué dans les eaux superficielles comme les rivières, les lacs ou les étangs via des déversoirs d’orage. « Ces eaux évacuées peuvent contenir des matières en suspension, des composés organiques, des contaminants fécaux, de l’azote, des métaux lourds et des micro-polluants ». A la différence des réseaux unitaires d’assainissement, « les réseaux séparatifs ne combinent pas eaux usées et eaux pluviales » ; avec les réseaux séparatifs, ces eaux pluviales sont rejetées dans des masses d’eau locales » (Benisch et al., 2020).
Concrètement, dans le district Artois-Picardie du nord de la France peuplé de 4,7 millions d’habitants, les rejets dans l’eau des réseaux d’assainissement ont baissé par rapport aux années 1990. Cependant, ils demeurent conséquents. 85% des réseaux d’Artois-Picardie sont de type unitaire. A la fin des années 2010, leurs rejets annuels dans l’eau s’élevaient à 15000 tonnes de matières en suspension, à 23000 tonnes de matières organiques et à 3600 tonnes d’azote. A cela, il faut ajouter 4600 tonnes annuelles de matières en suspension, 5500 tonnes de matières organiques et 800 tonnes d’azote rejetées en masses d’eau, principalement à cause de fuites et de connexions manquantes sur les réseaux. Les réseaux séparatifs d’Artois-Picardie accentuent le volume total de rejets à hauteur de 3500 tonnes par an de matières en suspension, 4200 tonnes de matières organiques et plus de 700 tonnes d’azote (Comité de bassin Artois-Picardie, 2020 [a], p.65-67, 70, 101).
Si la restauration écologique à elle seule ne peut pas mettre fin à la pollution des masses d’eau, elle peut, si elle est réalisée avec soin, l’amoindrir, tout en rétablissant les fonctionnalités des masses d’eau superficielle.
V.5. Restauration écologique sous-financée
Concernant les plaines inondables de l’UE, le dernier rapport de l’agence européenne pour l’environnement évoquait « une situation critique ». 95% de la superficie originelle de ces plaines inondables a été convertie à d’autres usages qui entravent l’accueil naturel des eaux d’inondation. L’exemple du Danube est frappant : « Sur les 26000 km² de la plaine inondable du Danube et de ses affluents majeurs, 20000 km² ont été isolés au moyen de digues ». Même parmi les 5% restants de plaines inondables européennes, beaucoup ont perdu de leurs fonctions naturelles (EEA, 2020 [a], p.73).
Est-ce qu’aujourd’hui, la restauration écologique est à la hauteur des besoins dans ces plaines inondables et dans les autres masses d’eau ? Dans leurs rapports officiels, les décideurs de la gestion des bassins hydrographiques flattent la restauration écologique effectuée. Il est vrai que de bons travaux de restauration sont réalisés dans tous les districts hydrographiques. Mais en France par exemple, ils ne sont généralement effectués que sur de petits segments de cours d’eau ; souvent aussi, ils ne traitent qu’une partie du problème de la masse d’eau concernée. Les décideurs ne s’épanchent guère sur le sous-financement, systématique et systémique, de cette activité de restauration, un sous-financement dont ils sont aussi parmi les principaux responsables.
Ainsi, en validant le budget 2022-2027 du district Artois-Picardie, les décideurs de la gestion des masses d’eau ont alloué un maigre 10% de leur budget total à la restauration et à la préservation des écosystèmes aquatiques : 248 millions d’euros sur un total de 2,36 milliards d’euros, soit moins de 42 millions d’euros annuels. Pourtant, le travail nécessaire est titanesque dans ce bassin de 20 000 km², qu’il s’agisse de restaurer la continuité écologique, les débits des rivières et leur cours naturel, leurs zones ripariennes, les zones humides voisines ou encore la diversité et l’abondance de la faune et de la flore aquatiques par exemple. Pour se donner une idée, il existe 2700 ouvrages perturbant le cours des rivières ou leur continuité écologique en Artois-Picardie tels que des barrages, des écluses ou encore des seuils. En 2018, le coût moyen du chantier de restauration de la continuité écologique était de 100 000 euros par ouvrage. Il faudrait donc à minima dépenser 270 millions d’euros pour la seule continuité écologique en Artois-Picardie. Un exemple de dépense dans la région Grand-Est pour restaurer uniquement le lit naturel d’une petite rivière sur seulement deux kilomètres s’élève à 320 000 euros, pour un bon travail de restauration, mais partiel (AEAP, 2021 [a] ; France 3 Grand Est, 2022 ; Préfet coordonnateur du bassin Artois-Picardie, 2021, p.13, 21 ; Sénat, 2018).
Le mot restauration tend donc à être galvaudé par les décideurs. Dans ses rapports annuels, l’agence de l’eau Artois-Picardie vante la “restauration” de 53 km de rivières en 2019, 169 km en 2021 ou encore 86 km en 2022 pour une longueur cumulée totale de 8000 km dans le bassin. En fait, ces kilomètres ont été partiellement, et partiellement seulement, restaurés. En d’autres termes, ces décideurs peuvent aisément donner aux gens l’illusion que ces kilomètres de rivières ont été restaurés de la meilleure façon possible. En réalité, dans la plupart des cas, il ne s’agit pas d’une restauration complète. Une restauration quasi complète signifierait un rétablissement des débits historiques, mais également la restauration des rives, des fonds des rivières, des habitats ripariens et de leur faune, le tout au sein d’une plaine inondable fonctionnant bien, sans pollution qui empêcherait l’atteinte du très bon état écologique de la masse d’eau (AEAP, 2019 [a], p.14-15 ; AEAP, 2022 [a], p.15 ; AEAP, 2023 [a], p.5).
CONCLUSION DE L’ENQUÊTE
La loi relative aux masses d’eau et à leur gestion se caractérise par un greenwashing omniprésent aux niveaux européen et national. Globalement, le problème est double. Premièrement, ni les législateurs, ni les leaders politiques ne respectent les masses d’eau. Ils ne veulent pas prendre les mesures nécessaires pour restaurer la plupart des masses d’eau qui pourraient l’être. Deuxièmement, la majorité des acteurs économiques privés responsables du piètre état des masses d’eau, qu’il s’agisse d’agriculteurs conventionnels, d’industriels et de grandes entreprises, refusent de changer leurs pratiques pour améliorer cet état de manière importante.
Les solutions ne sauraient être uniquement juridiques. Elles doivent aussi avoir des dimensions culturelle, politique et socio-économique. J’ai réfléchi à l’une d’entre elles que j’expose dans cette conclusion.
Elle commencerait par une évolution politique. Dans chaque district hydrographique, de nouvelles entités politiques seraient créées. Chaque entité politique créerait un système politique conforme aux attentes de ses membres. Ce système comporterait des dimensions juridique, philosophique, politique et socio-économique.
Poursuivons avec ce scénario. Chaque district hydrographique européen existant serait subdivisé en autant de sous-bassins hydrographiques qu’il y aurait d’entités politiques dans ce district. Un maximum d’une dizaine d’entités politiques par district permettrait une gestion cohérente des masses d’eau. Dans chaque sous-bassin hydrographique, une seule entité politique déciderait de la gestion. La taille et les ressources naturelles de chaque sous-bassin seraient à peu près proportionnelles au pourcentage de votes obtenu par chaque entité politique. Ainsi, si, dans un district de 10000 km², deux entités politiques obtiennent chacune 25% des votes et cinq autres 10%, le district serait subdivisé en sept sous-bassins : les deux entités à 25% gèreraient des sous-bassins couvrant chacun à peu près 25% de la superficie du district (soit 2500 km² chacun) et les cinq autres entités gèreraient d’autres sous-bassins couvrant chacun environ 1000 km².
Une taille minimum de sous-bassin, peut-être autour de 2000 km², devrait sûrement être établie. Concrètement, quels pourraient être ces sous-bassins ? Celui dans lequel je vis, le bassin de la Somme au nord de la France, sur 5600 km² et qui débouche sur la Manche, pourrait faire l’objet d’une gestion décidée par une entité politique. D’autres sont possibles : celui de l’Aube, qui se jette dans la Seine au centre-nord de la France, sur 4600 km² ; les 5300 km² du bassin de l’Aveyron, aux portes du Massif Central ; les 2000 km² du bassin alpin de l’Arc, qui traverse la vallée de la Maurienne et se jette dans l’Isère ; etc, etc.
Donc, je résume : chaque grand district hydrographique existant, tel que le district Artois-Picardie au nord de la France (20 000 km²), est subdivisé en une dizaine de sous-bassins gérés chacun par une entité politique ; la taille et les ressources de chaque sous-bassins dépendent du pourcentage de votes obtenu par chaque entité politique.
Une telle réorganisation prend forcément du temps, peut-être deux décennies. Il faudrait notamment laisser aux personnes qui souhaitent déménager dans le sous-bassin de leur choix, le temps de le faire dans de bonnes conditions. Compte tenu de la taille actuel des districts hydrographiques, les déménagements des gens désirant rester dans le district ne dépasseraient guère les 200 km.
Prendre le sous-bassin hydrographique comme base territoriale des entités politiques a un sens, à la fois écologique et juridique. Cette base territoriale pourrait aussi revêtir un sens économique et social. Je m’explique : le temps nécessaire à ce genre de réorganisation territoriale peut être mis à profit pour peaufiner les lois et les politiques propres à chaque entité politique-/sous-bassin, que ce soit en termes de conditions de travail, de répartition des salaires, de systèmes bancaires, de prix de l’immobilier, de normes environnementales, entre autres.
La France pourrait rester la France avec ce genre d’évolution. « Simplement », ces nouveaux territoires, ces sous-bassins, auraient donc leurs propres politiques et leurs propres lois dans différents domaines, économique, environnemental et social. Dans d’autres domaines où la grande majorité de la population s’accorde, tout ou partie de la loi existante pourrait continuer de s’appliquer : par exemple concernant le corps de lois régissant le système de santé et la sécurité sociale, les transports publics, le droit des enfants, etc.
L’intérêt, pacifiste, dynamisant et épanouissant, d’une grande autonomie politique et juridique à l’échelle des sous-bassins, est grand. Une telle autonomie éliminerait nombre de conflits, d’impasses et autres blocages économiques, environnementaux et sociaux existants provoqués par des lois qui s’imposent à tous, mais que des millions de personnes rejettent profondément.
À quoi pourrait donc ressembler un sous-bassin où l’on chercherait à éradiquer de profondes injustices socio-économiques et à mettre fin à de graves problèmes environnementaux ? Je tente de l’imaginer par grand domaine.
- Terres agricoles à redistribuer
L’une des principales difficultés du scénario envisagé, celui de sous-bassins à l’autonomie maximisée, est liée aux terres agricoles. Soit les agriculteurs localisés dans un sous-bassin dont les lois ne leur conviennent pas, restent, et s’y soumettent, soit ils vendent leurs terres pour aller vivre ailleurs.
L’une des grandes injustices foncières actuelles réside dans l’impossible accès à la terre pour un grand nombre de personnes qui souhaiteraient devenir agriculteurs : soit leur famille n’a pas de terre, soit ils n’ont simplement pas les moyens d’y accéder. Pour y remédier, il faudrait d’abord redistribuer toutes les terres en surplus des agriculteurs aisés, c’est-à-dire celles dont ils n’ont pas besoin pour vivre bien, en étudiant chaque patrimoine agricole au cas par cas ; les terres en surplus seraient ensuite remises sur le marché à un prix décent au profit des jeunes agriculteurs en apprentissage (dépourvus d’héritage ou de moyens financiers suffisants) et des agriculteurs en grande difficulté foncière.
Ici, dans les Hauts-de-France, 69% de la surface agricole utile est détenue par 33% des agriculteurs (c’est-à-dire ceux dont les exploitations dépassent les 100 hectares). La quasi totalité d’entre eux sont des agriculteurs conventionnels qui polluent fortement les masses d’eau locales en utilisant pesticides synthétiques et engrais chimiques, sans parler des dommages qu’ils causent régulièrement via l’érosion qu’ils provoquent ; ces agriculteurs-là sont également copieusement arrosés d’aides financières en tous genres via la Politique agricole commune de l’Union Européenne (Agreste Hauts-de-France, 2020 ; Debove, 2024).
Par ailleurs, en 2017, le revenu annuel moyen des ménages agricoles des Hauts-de-France était de 55 000 euros, soit 7000 euros de plus que la moyenne nationale ; 10% des ménages agricoles de cette région nordiste disposaient même d’un revenu annuel supérieur à 100 000 euros, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Enfin, bon nombre de gros agriculteurs conventionnels deviennent de plus en plus fortunés : entre 2017 et 2021 dans les Hauts-de-France, le revenu net moyen d’entreprise agricole (par unité de travail annuel non salarié) est passé d’environ 50 000 euros à plus de 90 000 euros… Pour permettre un juste accès à la terre et à tous les agriculteurs de vivre bien, on pourrait donc redistribuer de vastes espaces agricoles. En outre et toujours dans les Hauts-de-France, les prix actuels des terres agricoles libres sont bien trop élevés : ils sont généralement compris entre 8000 euros et 15000 euros l’hectare. Dans ces conditions, comment un jeune couple sans patrimoine, souhaitant cultiver des céréales bios anciennes sur un minimum de 15 hectares (à peu près le minimum en céréales pour vivre bien) pourrait-il y arriver ? Il lui faudrait trouver l’équivalent de 120 000 à 200 000 euros, et seulement pour acheter des terres. Il lui faudrait en plus trouver une source de financement pour le matériel et les infrastructures nécessaires, ainsi que pour son habitat… Pour ce type d’aspirants agriculteurs, il faudrait, aussi, diviser au moins par trois à cinq le prix actuel des terres agricole, le tout avec un prêt qui ne les étrangle pas financièrement à long terme (DRAAF Hauts-de-France, 2023 ; Terres et territoires, 2017).
- Monde rural à reconstruire
Un sous-bassin juste aux niveaux économique, environnemental et social nécessiterait une refonte de l’espace agricole. Une bonne partie des campagnes françaises est dévitalisée, voire sinistrée. À proximité des agglomérations pourvoyeuses d’emplois, on y trouve bien souvent des sortes de banlieues rurales-dortoirs, plus ou moins étendues, dont la majorité des habitants utilisent la voiture pour aller travailler en ville. Revitaliser ces zones rurales ne se fera pas sans renouvellement de la population agricole et sans une économie agricole juste. La redistribution d’une partie des vastes propriétés agricoles non-indispensables à leurs propriétaires ne suffira pas. Quels autres leviers permettraient d’y parvenir ?
Voici une première idée. Nombreuses sont les personnes qui souhaiteraient se lancer dans le potager biologique, professionnel ou amateur, voire dans le petit élevage biologique, mais qui n’y arrivent pas, faute de moyens, de temps et/ou de terre. Pour beaucoup, les vocations seraient faciles à concrétiser avec un peu de terre, assortie d’une formation adéquate. En permaculture (système évolutif dans lequel plantes et animaux utiles à l’homme sont gérées pour permettre leur symbiose), 100 m² de terre bien gérés (un dixième d’hectare) sont suffisants pour produire 500 kilos de fruits et légumes biologiques par an. Dans les villages et les petites villes entourées de campagne, les personnes souhaitant posséder un jardin potager pourraient se voir accorder 100 m² de terre arable sous forme de parcelles regroupées ou dispersées. Une communauté de petits possédants pourrait côtoyer celle des personnes qui souhaitent rester locataires dans les jardins communautaires. En cas de déménagement, une propriété de 100 m² arables pourrait être échangée contre une autre. En fonction du bâti local, cela voudrait dire, comme autrefois, consacrer une portion de l’espace agricole jouxtant les petites villes au petit maraîchage.
- Production de nourriture
En lien direct avec la revitalisation de l’espace rural, la production de nourriture pourrait être fondée sur l’agriculture biologique, de préférence exclusivement. Elle pourrait maximiser la consommation des produits en provenance du sous-bassin. Le but serait de se rapprocher de l’autosuffisance alimentaire à l’échelle de ce sous-bassin pour ce qui concerne les produits issus de cultures et d’élevages situés à l’intérieur de celui-ci. Dans cette optique, de petites entreprises agroalimentaires utilisant ces produits pourraient s’y développer bien davantage qu’aujourd’hui. Il est possible que la production de céréales ne puisse être entièrement biologique en raison de rendements inférieurs au conventionnel, mais cela reste à voir pour la raison suivante. Si l’on remplace la plupart des élevages destinés à la viande bovine par des élevages de volailles beaucoup moins gourmands en espace (d’élevage et de cultures consacrées à l’élevage), cela permettrait d’étendre la surface céréalière biologique.
- Biodiversité
La restauration de la biodiversité, sa conservation et l’abondance des espèces animales et végétales, grands carnivores inclus (loup, lynx, ours, etc.), serait la priorité sur un quart à un tiers de la superficie du sous-bassin. Cette part pourrait être réduite dans les sous-bassins trop densément peuplés.
- Économie
Celle-ci pourrait principalement reposer sur des entreprises petites et moyennes, à la fois gérées et détenues collectivement par leurs employés. Ce principe serait valable dans les secteurs de l’alimentaire, de l’habillement, de l’habitat, de l’informatique, du recyclage et de nombreux services. Les entreprises spécialisées dans la construction de grandes infrastructures (ferroviaires, routières, production d’électricité, réseaux de fibre optique, etc.) devraient probablement rester de grande taille, sans toutefois renoncer à la gestion et à la détention collective de l’entreprise par les employés. Dans bien des cas, la taille moyenne, voire petite, est adaptée aux secteurs énergétiques éolien et solaire, par exemple. Dans le secteur sous-développé de l’hydraulique douce, ce type d’entreprises peut fabriquer de petites hydroliennes de rivières (sans interrompre leurs cours au contraire des barrages) afin de fournir de l’électricité en milieu rural.
- Travail
À temps et à qualité de travail égal, tous les salaires seraient égaux. Seuls certains travaux, particulièrement exigeants physiquement ou à risque, seraient mieux rémunérés, dans des proportions raisonnables. La qualité du travail serait évaluée mutuellement et collégialement entre collègues et non par des dirigeants ou par des « supérieurs ».
- Logement
Le logement neuf ou rénové à empreinte écologique minimale deviendrait la norme. Pour les logements « classiques », le but serait de les construire afin qu’ils restent habitables au fil des générations. On faciliterait aussi la construction de l’habitat léger, à durée de vie plus courte, telles que les yourtes, les maisons-roulottes ou encore les tiny houses.
Une empreinte écologique minimale a plusieurs implications :
- La taille du logement est plafonnée, par exemple à 200 m² maximum pour une famille de quatre personnes.
- La consommation d’eau et d’électricité est plafonnée de façon à ne pas les gaspiller. La consommation d’énergie est optimisée via : l’orientation au sud quand elle est possible ; des murs isolants en chanvre ou en pisé[1] ; un chauffe-eau solaire ou thermodynamique[2], etc.
- Lorsque cela est techniquement faisable, des toilettes sèches ou à litière biomaîtrisée[3] sont installées.
- La taille du logement est plafonnée, par exemple à 200 m² maximum pour une famille de quatre personnes.
Conjointement à cette empreinte écologique minimale, la population serait juridiquement protégée contre le logement insalubre ou au confort indécent.
Enfin, le prix moyen actuel du logement atteint des sommets absurdes qui pénalise des millions de ménages. Par conséquent, le prix du logement serait désormais fixé indépendamment de l’offre et de la demande. Il serait établi en fonction de la qualité du logement et de sa durabilité ; pour évaluer le prix des logements neufs ou rénovés, on ajouterait à ces deux critères le coût du travail nécessaire à la (re)construction, ainsi que le coût des matériaux utilisés et de leur transport. En 2024, en moyenne en France, il faut débourser 2600 euros par m² pour acquérir une maison neuve, un prix moyen en hausse de 44% par rapport à 2017 (1800 euros) ; on grimpe à 4400 euros le m² pour l’appartement neuf et à 3600 euros le m² pour l’ancien. Pour la grande majorité des logements existants, afin d’être juste, le prix d’achat ou de location devrait être considérablement réduit et, souvent, divisé par trois (Efficity, 2024).
- Propriété privée individuelle
Qu’elle soit financière ou immobilière, des limites claires seraient fixées à cette propriété privée. Une limite de 300 000 ou 400 000 euros de patrimoine financier individuel serait raisonnable. Une limite similaire serait honnête dans l’immobilier, surtout après la forte réduction des prix du logement (évoquée précédemment). Les résidences secondaires pourraient être abolies, personne n’en ayant vraiment besoin.
- Transport
Le transport en commun (bus, train, tram, etc.) pourrait être exclusivement alimenté par les énergies éoliennes et solaires. Cela supposerait une densification et une croissance du parc éolien, par exemple le long de certains chemins ruraux éloignés de l’habitat, ainsi qu’une maximisation de l’installation de panneaux solaires sur le bâti neuf et rénové, afin de pouvoir transférer une part de l’électricité d’origine éolienne au transport en commun. De nouvelles lignes de transport en commun devraient être créées afin de minimiser l’usage du transport individuel motorisé.
[1] Pisé : compactage de la terre humide entre des banches [éléments de coffrage] formant un coffrage.
[2] Technologie thermodynamique : chaudière à condensation consistant à utiliser conjointement les gaz de combustion et la vapeur d’eau chaude ; cette dernière est produite lorsque la chaudière fonctionne pour réchauffer un circuit d’eau.
[3] Toilettes à litière biomaîtrisée : nos excréments sont réutilisés dans des jardins potagers en les mixant à de la pailles, à des copeaux ou à des brindilles découpées, le tout formant du compost.
Sources
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