Hautes-Alpes 3 – Autos, ovins et gros proprios (6/2018)


FacebooktwitterredditpinterestlinkedintumblrmailFacebooktwitterredditpinterestlinkedintumblrmail

Autos, ovins et gros proprios : tiercé gagnant haut-alpin (avant gueule de bois)

 

3. Et tout en haut la bassesse des gros proprios

Dans les Hautes-Alpes comme ailleurs, on peut toujours mettre l’accent sur les réussites environnementales et sociales : la protection adéquate de certaines espèces de faune et de flore sauvages ; l’accueil de migrants au sein de groupes organisés ou de familles ; les efforts de petits paysans et de « consomme-acteurs » pour pérenniser une agriculture biologique locale ; la collecte et le traitement du compost à l’échelle municipale, etc. Mais il s’agit souvent de phénomènes minoritaires. Jamais ils ne s’inscrivent dans un mode de vie vraiment équilibré aux niveaux environnemental et social. Nous n’avons pas à imposer ce mode de vie à d’autres, mais nous avons besoin de le concrétiser sans les obstacles d’opposants haineux. L’immense iniquité sociale ancrée dans les systèmes économique et juridique en place et la gestion malavisée prédominante de l’environnement nous barrent la route. Pour libérer les personnes qui le souhaitent de ces fardeaux, encore faut-il les identifier et les expliquer le plus clairement possible. Cela nous aidera à minimiser la coopération avec l’ordre malsain établi et à enraciner des solutions dans nos vies, en accord avec nos besoins en tant qu’êtres humains et avec ceux de l’environnement. Ce sont les deux objectifs de cette série d’articles sur les Hautes-Alpes.

1. Conduite accompagnée vers le réchauffement climatique

2. Etés ovins

4. Migrants sauvages malvenus

Abonnez-vous à ma newsletter

Achat PDF de la 3ème partie (€2.00)

Achat eBook (.epub et .mobi) de la 3ème partie :

Hautes-Alpes - 3ème partie (6/2018)

LE TROP-PLEIN OVIN, EXAMINÉ EN DEUXIÈME PARTIE, EST SYMPTOMATIQUE D’UNE ÉCONOMIE AGRICOLE À RÉORGANISER. L’abandon de 80% des pâtures à ovins en alpages éliminerait certains emplois. Ils pourraient être recréés ailleurs. Les Hautes-Alpes pourraient tirer parti de cet abandon à tous les niveaux : agricole, environnemental et social. Il s’agirait de reconversions sensées dans la petite agriculture biologique de montagne et d’un meilleur partage des terres agricoles, deux besoins criants dans les Alpes du sud.

L’inéquitable répartition de la terre agricole est surtout due à :

  • La loi foncière.
  • La cupidité de nombreux possédants.
  • La profonde iniquité socio-économique actuelle.

Commençons par donner un aperçu de cette iniquité. Les écarts de niveau de vie sont aussi considérables près des sommets enneigés qu’en plaine urbaine. En 2014 (dernière année disponible) dans les Hautes-Alpes, alors que 18 % des moins de 50 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, 45% des logements étaient des résidences secondaires ou des logements occasionnels. La même année, 28,5%[1] des foyers fiscaux[2] hauts-alpins se contentaient d’un revenu fiscal de référence[3] moyen de 6400 euros. A l’opposé, 7,6% des foyers fiscaux[4] profitaient, en moyenne, de 77 000 euros de revenu fiscal (Insee, 2016 [a] et [b] ; Ministère de l’action et des comptes publics, 2015).

Avant de se replonger dans l’iniquité présente, abordons l’économie agricole d’antan. Autrefois, l’élevage ovin procurait aux locaux du fromage, de la laine, du lait, des peaux et le bétail du fromage, du lait et de la viande. Sur les foires régionales, les éleveurs vendaient une partie de leurs troupeaux. Une autre composante fondamentale de l’ancienne économie agricole a pratiquement disparu. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, chaque village haut-alpin était entouré de petits champs. En versant adret[5] et autour des plus hauts villages et hameaux, certains atteignaient les 2100 mètres d’altitude (photos 9). Les récoltes fournissaient une part substantielle du régime alimentaire des habitants. On privilégiait la pomme de terre et le seigle. On cultivait également le choux, les lentilles, le blé barbu et l’orge. Des moulins à eau étaient disséminés dans les vallées habitées. Grâce à l’énergie hydraulique des torrents, leurs meules transformaient les grains en farine. On produisait du pain en quantité ainsi que des farines grossières pour l’élevage (Arnaud, 1983, p.43-48, 55-56, 60-61 ; Tendil, 2010).

Photos 9

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios champs arvieux saint véran autrefois

Au cours du 20ème siècle, la mosaïque ancestrale de petites parcelles cultivées s’est disloquée et contractée. Le phénomène s’est accéléré après 1945. Les raisons de ce déclin sont quadruples :

  • Une rentabilité agricole maximisée, promue par l’industrie agroalimentaire et approuvée par l’Etat, qui laisse peu de place aux petites parcelles d’altitude.
  • La lassitude des paysans montagnards à l’égard d’un mode de vie beaucoup plus rude que d’autres largement répandus.
  • Le remembrement agricole et les subventions en faveur des grandes exploitations. Cette politique agricole étatique a décimé la petite paysannerie.
  • La carence des aides pour une transition de l’agriculture de montagne à la fois économiquement viable et écologiquement sensée (Tendil, 2010).

Depuis 1945, la plupart des législateurs (siégeant au parlement), des membres du gouvernement et des élus locaux se sont ingéniés à réduire la petite paysannerie montagnarde à une peau de chagrin. Ils y sont parvenus.

Autour des villes et des villages hauts-alpins, le potentiel de développement de l’agriculture biologique et de l’agroalimentaire dérivé est élevé. Dans le Champsaur, l’Embrunais, le Gapençais, le Guillestrois (photo 10), le Queyras et ailleurs, de grandes étendues sont mal utilisées : pâtures occasionnelles, vergers en décrépitude, zones en friches, etc. D’autres espaces sont rattachés à des résidences secondaires inoccupées la plupart du temps. Au surplus, nombre de propriétaires s’adonnent à la spéculation foncière[6].

Photo 10

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios guillestre parcelle mal utilisée

Si les superficies « disponibles » étaient intelligemment utilisées, l’agriculture bio et l’agroalimentaire concomitant devraient probablement générer des milliers de nouveaux emplois dans les Hautes-Alpes. La petite agriculture biologique requiert beaucoup de main d’œuvre. Des métiers durables pourraient se développer. Y concourraient les moulins réactivés aux normes actuelles, les nouveaux commerces de bouche, les centres de conservation des produits, des graines et des plants, ou encore la cuisine collective si les milieux scolaire et hospitalier puisaient dans les ressources locales. Des camions électriques, alimentés par un réseau de petites centrales solaires efficaces en montagne, pourraient assurer les livraisons nécessaires. Afin d’éviter la tâche unique perçue par beaucoup comme abrutissante à long terme, des formations courtes permettraient la pluriactivité (livraison-certaines tâches de maraîchage, travail en moulin-cuisine, etc.).

Les emplois potentiels sont infiniment plus nombreux que ceux perdus avec l’abandon de 80% des pâtures à ovins. Les petits élevages biologiques de brebis, de chèvres, de bétail et de cochons auraient pleinement leur place. Leur production continuerait d’irriguer les marchés régional et touristique. Il s’agirait d’emplois épanouissants, fondés non pas sur la transfiguration et la dégradation environnementales, mais sur l’intégration attentionnée de l’agriculture au sein des montagnes. Il s’agirait également d’épanouissement socio-économique, pour peu que l’équité salariale soit instaurée (même salaire pour tous à temps et à qualité de travail égaux). A l’opposé de l’iniquité salariale généralisée, celle-là respecte chaque travailleur. Un tel système agroalimentaire participerait au développement d’une solidarité régionale authentique, et non sur la charité.

Le déploiement de ce système, qui revitaliserait bien des municipalités, est actuellement impossible. Il est bloqué par trois obstacles :

  • Les propriétaires d’accord pour vendre une fraction des terres dont ils n’ont pas besoin pour vivre bien sont peu nombreux. Même si je ne souhaite pas devenir maraîcher professionnel, mon expérience locale vaut la peine d’être notée. Elle donne un indice sur l’attitude prédominante de ces propriétaires vis-à-vis des « sans terre ». En 2017, sur Guillestre où je réside (photo 11), j’ai contacté par téléphone une douzaine de propriétaires de terrains agricoles. Je leur ai demandé s’ils seraient d’accord pour vendre (de préférence) ou pour louer moins d’un dixième d’hectare. Mon amie et moi-même souhaitions en faire un jardin potager bio. Tous ont refusé.
  • Le parlement, le gouvernement et la majorité des élus locaux rendent l’accès à la terre difficile, insuffisant voire impossible pour les agriculteurs postulants sans héritage, sans compte en banque bien rempli et aux revenus modestes.
  • Les terres agricoles sont rarement bon marché.

Photo 11

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios guillestre plateau agricoleUne petite minorité de Hauts-Alpins et un faible nombre de propriétaires extérieurs au département possèdent et contrôlent la grande majorité des terres agricoles départementales. Entre 1999 et 2016, le prix moyen des terres agricole y a doublé en passant de 3900 à 7800 euros courants l’hectare. Dans l’est du département, c’est pire. Le prix à l’hectare s’est envolé de 4400 à 11 600 euros. En 2016 dans les Hautes-Alpes, le prix maximum auquel le législateur français ne voit rien à redire culmine à 37 620 euros l’hectare. La marge d’arnaque légalisée prodiguée aux néo-seigneurs terriens est appréciable (Agreste, 2016).

La tendance est à l’agrandissement des exploitations agricoles. Souvent, ces dernières mixent propriété et location. Entre 1990 et 2013 en région PACA, le nombre d’exploitations a dégringolé de 40 000 à 21 000. En 2013 dans les Hautes-Alpes, 45% des exploitations dépassaient les 50 hectares ; seulement 410 d’entre elles (22%) faisaient moins de 10 hectares (Chambres d’agriculture PACA, 2018 [b]).

Zoomons sur la commune Europe-Ecologie-Les-Verts de Guillestre (2300 habitants). Son territoire englobe 480 hectares de terres agricoles (hors alpages et estives). La taille moyenne de l’exploitation (hors alpages/estives) y est de 63 hectares, l’écart de taille variant de 1 à 26… Le plan local d’urbanisme (PLU) 2016 de la mairie cite, en tant qu' »enjeux essentiels », « le maintien [des] exploitations actuelles » et leur pérennisation (les « conforter »). Le PLU priorise en plus « les projets de développement des exploitants en place » et le « remembrement ». En mairie « écolo » comme ailleurs, ce sont les gros exploitants et les gros proprios d’abord. Tout juste le PLU mentionne-t-il « le maintien des [très rares] petites structures », telle que le potazer du Villard qui produit graines, plants et légumes biologiques. Dans cette commune où le potentiel des terres agricoles est généralement élevé, ça s’annonce compliqué pour les petits cultivateurs biologiques potentiellement intéressés par la propriété, mais dépourvus d’un budget conséquent. A Guillestre, 5% (95 sur 1961) des comptes de propriétés privées (propriété détenue par une ou plusieurs personnes) se partagent 52% (473 hectares sur 914) de la superficie des parcelles privées. Côté logement, les prix moyens sont socialement hyper discriminatoires : 200 000 euros en moyenne pour une maison de 100 m² et 180 000 pour un appart’ de même taille (Guillestre, 2016, p.16-17, 27, 30 ; Guillestre, 2015, p.15, 23-29 ; MeilleursAgents.com, 2018).

Les jardins communautaires mis en place par la commune de Guillestre et la région PACA couvrent moins d’un-demi hectare. Ils ne permettent qu’à une vingtaine de ménages (généralement modestes) d’exploiter 20 à 40 m² de jardin potager biologique chacun (plus des outils de jardinage partagés). Mon amie et moi-même en bénéficions. Cependant, depuis octobre 2017, le maire n’a pas répondu à notre souhait d’achat d’une parcelle de 500 à 800 m² (soit 8% d’un hectare au maximum). Nous aimerions y établir un jardin potager et fruitier bio. Sur Guillestre, quelques hectares de terres agricoles (hors estive/alpage) appartiennent à la commune. 46 autres hectares sont des terres dites présumées vacantes et sans maîtres, logiquement aisément récupérables par la commune[7]. De surcroît, le PLU guillestrois reconnaît l’existence de « nombreuses terres privées qui ne sont pas travaillées et perdent de leur potentiel ». Les terres vacantes et sous propriété communale pourraient satisfaire plusieurs maraîchers et non-professionnels en cultures bios (Guillestre, 2016, p.27 ; Guillestre, 2015, p.15, 23-30).

La commune d’Eygliers, voisine de Guillestre, n’a rien non plus d’un havre pour les petites cultures bios. Les élevages ovin et bovin y dominent sur les 660 hectares d’estives et de landes d’altitude. Même sur les 200 hectares d’autres terres agricoles concentrées autour du bourg, plus de 150 sont réservées à l’élevage, avec une majorité de prairies temporaires. Celles-ci représentent un grand gâchis agricole et humain. Il réduit davantage encore les chances de développement d’une petite agriculture bio et rentable. Ainsi, selon une résidente d’Eygliers, une parcelle arable de plusieurs hectares voisine de chez elle n’est utilisée que deux semaines par an par un troupeau. Sur cette commune, les 50 hectares de parcelles restantes sont prioritairement consacrées aux céréales. Et certaines de leurs récoltes sont destinées à… l’élevage. Sur moins de deux hectares, la maraîchère en AMAP[8] bio Fanny Lhermitte fait figure d’exception (elle cultive un-demi hectare de plus sur une commune voisine). Et peu importe que « la disparition progressive des terrasses, ignorées par le système de pâturage ovin qui a remplacé les cultures de céréales, [y] favorise l’érosion » (Eygliers, 2017, p.20).

En naviguant sur certains sites internet (www.proprietes-rurales.com ; https://www.avendrealouer.fr ; https://www.leboncoin.fr/, etc.), on peut trouver des offres de terrains agricoles dans les Alpes du sud. Les terrains de moins de dix hectares à prix décents constituent une perle rare. De surcroît, ils ne sont pas forcément bien adaptés au maraîchage professionnel. Pour les jardiniers non professionnels, les petits terrains agricoles exceptionnellement accessibles sont fréquemment éloignés des bourgs principaux.

Que reste-t-il pour le petit paysan bio voulant accéder à une propriété agricole économiquement viable, sans compte en banque bien rempli et sans soutien des milieux locaux agricole ou politique ? Pas grand chose. Il existe une constante régionale : que ce soit en vallée d’altitude ou dans les zones moins contraignantes du sud des Hautes-Alpes (photo 12), son handicap de départ est généralement grand.

Photo 12

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios gapençais agricultureEntre 2011 et 2015, sur les 38 communes du Briançonnais, des Ecrins, du Guillestrois et du Queyras, seulement 24 nouveaux exploitants se sont installés. Parmi eux, 17 se sont établis dans l’élevage. Dans cette portion septentrionale des Hautes-Alpes, la superficie agricole utile moyenne par exploitation a été multipliée par 4,7 en 31 ans, de 12 hectares en 1979 à 57 en 2010. On n’y compte que trois AMAPs biologiques. Du local à l’Union Européenne, les petites exploitations bios sont tout sauf une priorité agricole. Les subventions de la politique agricole commune (PAC) décidées à l’échelle de l’Union Européenne sont éloquentes. D’ici à 2020, les crédits communautaires européens de la PAC accordés à l’agriculture biologique française représenteront moins de 2% des crédits destinés à l’ensemble de l’agriculture nationale : pour les aides au maintien et à la conversion, la filière agricole bio se contentera de 180 millions d’euros par an maximum sur un magot annuel de 9,1 milliards d’euros (Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, 2016, p.12 ; PETR Briançonnais-Ecrins-Guillestrois-Queyras, 2016, p.15-16).

Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safers), sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances, suivent ce mouvement. Un vendeur de terre agricole peut faire appel à une Safer qui achète sa terre avant de la revendre à un candidat à l’acquisition. Elle sélectionne ce dernier après avis favorable de représentants gouvernementaux. Comme le parlement, le gouvernement, l’Union Européenne et la plupart des élus locaux, les Safers ne recherchent pas l’équité socio-économique en matière de répartition des terres agricoles[9] (Safer 2018, [a], [b], [c] et [d]).

En marge de cette tendance locale et nationale dominante, certains élus locaux font des efforts notables. Sortons des Hautes-Alpes, où un exemple similaire à celui ci-dessous n’existe pas. Il faut descendre au sud de la région PACA, à Mouans-Sartoux (10 000 habitants) dans les Alpes-Maritimes (photo 13). Dans son PLU de 2012, cette commune a multiplié par 2,8 la taille des terres agricoles. Cette décision fait suite au déclin marqué des surfaces agricoles durant la seconde moitié du 20ème siècle. En 2011, la municipalité a acheté un ancien domaine agricole de quatre hectares dont deux ont été convertis en maraîchage bio. Une maraîchère, salariée de la commune, les cultive et approvisionne les cantines avec sa production. Toutes les cantines de la ville sont 100% bio. Elles nourrissent 1000 enfants. La mairie a d’autre part consacré 3/10ème d’hectare à la création de jardins familiaux bios. Si ces efforts sont louables, ils ne devraient ni être encensés, ni masquer la réalité prédominante :

  • La ville se situe dans une zone (les Alpes niçoises) où le prix de la terre agricole dépasse les 9000 euros l’hectare.
  • Une part significative du territoire communal a été grignotée par un habitat pavillonnaire historiquement mal géré.
  • En 2015, avec 1700 euros par habitant en services communaux (produits de fonctionnement), Mouans-Sartoux se situe nettement au-dessus de la moyenne française (1200 euros). Dans ces conditions, pas étonnant qu’elle puisse prendre en charge entre 2,20 et 6,40 euros par enfant et par repas en cantine bio (facturé 8,40 euros en moyenne).
  • L’expansion des zones agricoles en 2012, de 40 à 112 hectares, reste limitée au regard des 1300 hectares communaux.
  • Seules 23 familles disposent d’une parcelle de jardin familial.
  • Mouans-Sartoux est un cas extrêmement rare à l’échelle nationale (Agreste, 2016 ; Association des jardins familiaux des Canebiers, 2013 ; Département du Var, 2012, p.69, 77 ; JDN, 2018 ; Mouans-Sartoux, 2012, p.64, 95 ; Rouchard, 2018).

Photo 13

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios mouans-sartoux

Diviser par trois à dix (en fonction des lieux) le prix des terres agricoles[10] et redistribuer une part des fortunes terriennes au profit des personnes qui en ont réellement besoin. Il ne faut pas une révolution pour prendre ces deux décisions. Il faut juste du bon sens, une recherche d’équité et de bien commun[11] optimal. En ce qui concerne les terres agricoles, les gros proprios et les détenteurs de l’autorité adoptent la plupart du temps le comportement opposé : ils se vautrent dans la recherche ininterrompue et socialement destructrice de privilèges pour une minorité. Il ne faut pas compter sur eux pour se libérer de lois foncières oppressives pour la majorité des gens, que cette majorité admette ou non ce caractère oppressif.

Seule l’assemblée nationale peut abroger les lois foncières existantes. Dans l’hypothèse folklorique où le gouvernement en aurait l’intention, l’article 49-3 de la constitution ne lui permettrait probablement pas. Cela supposerait que la majorité des membres de l’assemblée nationale ne votent pas de motion de censure contre une telle décision (Vie publique, 2016).

Aujourd’hui, quelle que soit l’orientation politique de la majorité parlementaire, elle ne votera pas la baisse drastique du prix des terres agricoles et la redistribution d’une partie des fortunes terriennes. Les législateurs n’ont ni la volonté, ni le courage de modifier le droit français néo-seigneurial relatif à la propriété terrienne. Il leur faudrait commencer par un paragraphe sacralisé depuis 229 ans : l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Selon cet article, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Même en cas de « confiscation » pour nécessité publique, dans l’état du droit actuel, une « juste et préalable indemnité » viendrait consoler nos grands propriétaires, privilège néo-aristocratique s’il en est (photo 14) (Conseil constitutionnel, 2018).

Photo 14

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois et tout en haut trônent gros proprios assemblée nationale protège néo-seigneurs propriétaires

La plupart des législateurs et des élus locaux actuels sont prêts à verrouiller le droit relatif au foncier agricole, force armée à l’appui si besoin. Ils savent que ce droit est à la fois économiquement pervers et socialement délétère. Pour ces décideurs-là, ce constat ne change rien. L’immense majorité des législateurs et des élus locaux actuels ne saisiront jamais ensemble l’opportunité salutaire suivante. Obliger les propriétaires terriens qui n’ont pas besoin d’une partie de leurs terres pour vivre bien à vendre ces terres à prix très bas.

Partout en France, ces prix très bas entraîneraient deux bienfaits. Ils permettraient à une foule de petits agriculteurs biologiques de les acquérir et de vivre bien. Ils donneraient à beaucoup de gens les moyens d’acheter une parcelle de potager, ne serait-ce que 100 m² de terre arable.

Qu’ils soient élus ou votants, les défenseurs de l’article 17 de la déclaration de 1789 et du droit foncier agricole sont animés par une haine sociale et par une malveillance économique indissociables de notre bonne vieille démocratie, pourrie à la racine.

Il n’y a rien à espérer passivement de la majorité du peuple français, que cette majorité soit collabo avec l’ordre aberrant établi, apeurée ou apathique. Tant que cette situation globale perdure, les opportunités de recréer du sens à trois niveaux combinés (écologique, économique et social) demeureront ardues et partielles.

Parmi les idées exposées sur mon blog, je tente de mobiliser des personnes autour d’un projet associatif de reconquête des terres, exportable partout en France. Il s’intitule Terres ensemble Hautes-Alpes. Il s’agirait d’acheter un maximum de terres agricoles ou forestières, au prix du marché et aux propriétaires consentants. On se focaliserait sur trois usages bénéfiques pour l’environnement et pour les membres de l’association :

  • Maraîchage biologique.
  • Protection et restauration de la flore et de la faune sauvages.
  • Culture biologique du chanvre industriel.

Pour l’instant, les personnes potentiellement intéressées hésitent pour une ou plusieurs raisons. En voici les principales : 

  • L’incertitude quant à la durée de leur séjour dans le secteur.
  • L’investissement financier requis.
  • Le déficit de culture associative directement liée à la propriété terrienne.
  • D’autres priorités personnelles.

J’invite ces personnes à dépasser certaines de leurs hésitations :

  • En cas de déménagement, l’adhérent à l’association aura contribué à un projet écologiquement et humainement bénéfique. Il pourra s’en inspirer n’importe où.
  • L’investissement financier minimal requis, non dérisoire, reste toutefois modéré : 50 euros par an.
  • Le déficit de culture associative connectée à la propriété peut aussi être surmonté. Une fois qu’on devient propriétaires ensemble autour de valeurs communes, l’Etat ne peut plus contenir notre action aussi facilement que celle des « sans terre ».

De petites minorités, composées d’élus, de propriétaires et de riches, accrocs à la possession outrancière ou au contrôle d’autrui et des terres, ont façonné une bonne part des Hautes-Alpes à leur image. Les élus entraînent dans leur sillage des foules de votants. Toujours planquées derrière la loi et les forces de l’ordre, ces personnes ont civilisé les montagnes en niant et en trahissant leur nature profonde, bienveillante au plus grand nombre et à long terme à condition d’en respecter la sobriété généreuse.

Sources

Agreste, 2016. Prix moyens des terres et prés, nouvelles séries, évolution de 1999 à 2016 – terres et prés libres. 25/5/2018.

Arnaud C., 1983. Une mémoire de Saint-Véran : vie traditionnelle et patois queyrassins. Le monde alpin et rhodanien – revue régionale d’ethnologie, 11-3, pp.5-103. 21/5/2018.

Association des jardins familiaux des Canebiers, 2013. Association Des Jardins Familiaux Des Canebiers. 18/6/2018.

Chambres d’agriculture PACA, 2018 [b]. Chiffres clés. 25/5/2018.

Conseil constitutionnel, 2018. Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. 4/6/2018.

Département du Var, 2012. IV- Le champ des possibles. 8/6/2018.

Eygliers, 2017. Révision générale du PLU d’Eygliers. 26/5/2018.

Guillestre, 2016. Révision générale du POS – Elaboration du PLU. 25/5/2018.

Guillestre, 2015. Diagnostic agricole et foncier sur la commune de Guillestre. (Document fourni par la maire de Guillestre).

Insee, 2016 [a]. Dossier complet – Département des Hautes-Alpes (05) : FAM T2 – Ménages selon la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence en 2014. 19/5/2018.

Insee, 2016 [b]. Dossier complet – Département des Hautes-Alpes (05) : LOG T1 – Évolution du nombre de logements par catégorie. 21/05/2018.

JDN, 2018. Budget municipal de Mouans-Sartoux (06370) –  Budget général. 11/6/2018.

MeilleursAgents.com, 2018. Prix immobilier à Guillestre (05600). 8/6/2018.

Ministère de l’action et des comptes publics, 2015. Département : Hautes-Alpes. Ircom 2015 (revenus 2014). 30/5/2018.

Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, 2016. La réforme de la PAC en un coup d’oeil. 4/6/2018.

Mouans-Sartoux, 2012. Plan local d’urbanisme – Rapport de présentation. 8/6/2018.

PETR Briançonnais-Ecrins-Guillestrois-Queyras, 2016. Projet de territoire du Briançonnais, des Ecrins, du Guillestrois et du Queyras 2016-2020. 26/5/2018.

Rouchard S., 2018. La cantine bio de Mouans-Sartoux nourrit bien élèves et paysans. Reporterre. 8/6/2018.

Safer, 2018 [a]. Les Safer : l’essentiel. 4/6/2018.

Safer, 2018 [b]. Vendez un bien. 4/6/2018.

Safer, 2018 [c]. Le droit de préemption, qu’est-ce que c’est ? 4/6/2018.

Safer, 2018 [d]. Comment est choisi l’acheteur ? 4/6/2018.

Tendil M., 2010. Agriculture de montagne – Queyras : les derniers des paysans ? Localtis. 21/5/2018.

UNS, 2018. Introduction aux spéculations. 15/6/2018.

Vie publique, 2016. Le recours à l’article 49.3 de la Constitution. 4/6/2018.

ventdouxprod 2018, tous droits réservés

Notes de bas de page

[1] Moyenne réalisée pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 12 000 euros.

[2] Foyer fiscal : « ensemble des personnes inscrites sur une même déclaration de revenus ».

[3] Revenu fiscal de référence : « ensemble des revenus d’un ménage, imposables ou non ».

[4] Moyenne réalisée pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 50 000 euros.

[5] Adret : « Versant d’une montagne exposé au soleil, orienté au sud ou à l’est ».

[6] La spéculation foncière « consiste à investir dans un bien foncier (fonds de terre) […] et à en tirer par sa revente, à plus ou moins long terme, une plus-value financière » (UNS, 2018).

[7] « Biens présumés Vacants et Sans Maîtres (BVSM) » : propriété présumée vacante en raison de trois critères indiquant qu’elle est probablement « sans maîtres » : « pas de date de naissance connue au cadastre ; date de naissance indiquée en 1850 ; tous les indivisaires ont plus de 100 ans ». Plus leur proportion est élevée sur une commune, plus la procédure offerte à celles-ci « pour reprendre ces BVSM (s’ils s’avèrent l’être réellement) dans son patrimoine » pourra débloquer des situations d’abandons (Guillestre 2015, p.29).

[8] AMAP : association pour le maintien de l’agriculture paysanne.

[9] Les Safers disposent en outre d’un droit de préemption qui lui permettent d’empêcher la vente d’une terre agricole à un acquéreur potentiel en l’achetant à sa place. Elle fait alors valoir l’un des motifs suivants : intérêt général ; maintien de la vocation agricole ; blocage de la surenchère des prix ; développement local ; protection de l’environnement. Si ces missions sont flatteuses sur le papier, les Safers ne cherchent pas à réduire le prix de la terre à un niveau permettant à la grande majorité des postulants sérieux à l’agriculture biologique de devenir des propriétaires viables. Elles cherchent encore moins à redistribuer équitablement les terres agricoles en ne laissant aux propriétaires aisés que ce dont ils ont besoin pour vivre bien.  Quant à son rôle de protection de l’environnement, elle le joue avec une grande parcimonie. En France en 2016, les Safers n’ont utilisé leur droit de préemption que sur 5600 hectares, soit 6 % de la surface des acquisitions réalisées par les Safer cette année-là. La préemption n’est validée qu’après l’accord de deux commissaires gouvernementaux (Safer 2018, [a], [b], [c] et [d]).

[10] Là où le prix des terres agricoles atteint des sommets, il faudrait le diviser par dix (par exemple là où il atteint 37 600 euros l’hectare à l’est des Hautes-Alpes). Ailleurs, une division par trois suffirait pour donner aux personnes modestes l’opportunité de devenir de petits propriétaires.

[11] Par bien commun, j’entends en l’occurrence « ce qui est profitable à long terme pour l’ensemble des membres de la société ».