Notre-Dame-des-Landes : communauté amoindrie sous contrôle abusif (3/2020)


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Printemps 2018 : 2500 gendarmes sont déployés pour évacuer les occupants de Notre-Dame-des-Landes.

I. En guerre contre la paix

DÉBUT 2018, PEU AVANT L’ÉVACUATION DE NOTRE-DAME-DES LANDES (NDDL) par 2500 gendarmes, l’aéroport international prévu sur ce site est abandonné. NDDL, une zone partiellement humide et bocagère, sporadiquement boisée et relativement préservée, ne sera donc pas détruite. Au fil des années, les grandes manifestations d’opposition au projet se sont multipliées. Elles ont évidemment influencé la décision d’abandon.

Au cours de la décennie 2010, l’obstination des zadistes, installés sur la « Zone A Défendre » de NDDL, fut le moteur de l’opposition. Un moteur territorialement ancré, jamais en panne d’initiatives et d’idées. Les zadistes, inventifs et ingénieux, avaient établi les fondements d’une petite communauté rurale viable, vivant de peu et dans l’entraide. En 2018, leur communauté a été brutalement scindée par l’Etat français.

Après l’évacuation, beaucoup de zadistes sont partis, écœurés par la loi de la matraque et du pistolet sur la tempe. Le premier ministre, Edouard Philippe, a même poussé le grotesque jusqu’à décorer certains des 2500 gendarmes surarmés venus déloger 70 résistants parmi les plus pugnaces. Certains d’entre eux avaient jeté pierres, cailloux et autres bouts de bois, à bonne distance, sur les gendarmes. Quelques centaines d’autres occupants, moins « belliqueux », avaient été rapidement « balayés » par les forces de l’ordre.

Les volontaires pour rester après l’évacuation (membres restants de la communauté zadiste) ont eu droit à un territoire morcelé, en lambeaux. Ils peuvent y vivre, difficilement pour une partie, correctement pour certains, bien pour d’autres, en prolongeant certains aspects de la vie communautaire d’avant 2018. Ceux-là méritent de vivre bien là où ils sont. Bien d’autres le mériteraient également, ailleurs.

L’essentiel peut être résumé comme suit : l’attaque armée étatique a considérablement rétréci le projet initial, ainsi que son potentiel de développement et de dispersion régional et national.

II. Un agresseur obsédé par le contrôle des terres

Les deux-tiers des 1650 hectares du site de NDDL sont des terrains publics. Pour garder leur contrôle, l’Etat collabore étroitement avec les collectivités territoriales concernées, le département de Loire-Atlantique en tête (propriétaire d’à peu près la moitié du site). Etat et collectivités n’ont laissé aucune liberté de manœuvre territoriale significative aux zadistes souhaitant rester sur place : soit ils louent une petite fraction des terrains publics disponibles, soit ils n’ont… rien. Fin mars 2020, l’ensemble de la communauté encore présente à NDDL doit se contenter de louer quelques 350 hectares. Pour l’essentiel, cette surface est consacrée à la petite agriculture biologique.

Le tiers restant des 1650 hectares susmentionnés est constitué de terrains privés. On y trouve deux types de propriétaires :

  1. Des agriculteurs, généralement riches en terres, qui n’ont pas participé à la lutte anti-aéroport ; ils refusent de louer une fraction de leurs domaines aux zadistes restants.
  2. Une petite poignée d’agriculteurs pro-lutte acceptent de louer des terres à ces derniers.

En 2020, la zadiste Amalia, éleveuse et apicultrice à NDDL depuis 2012, s’exprime sur les baux de neuf ans qu’elle et d’autres ont été forcés de signer pour conserver leur activité :

[A partir de 6 min. 49 sec. sur cette vidéo réalisée en janvier 2020Ce qu’il faut capter, c’est que cette légalisation [la signature des baux], personne ne l’a faite de gaieté de cœur, en fait. Même les gens qui ont donné leur nom, même les gens qui, là, vont signer des baux. Personne ne s’est levé un beau matin en se disant : « Ah, c’est vraiment trop bien, je vais quand même légaliser [mon usage des terres] la semaine prochaine ! ». Cela ne s’est pas passé comme ça : cela s’est passé parce qu’on avait le couteau sous la gorge et la moitié de la gendarmerie mobile dans la cour.

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Notre-Dame-des-Landes

III. Le choix : violence d’Etat pro-riche ou paix à (re)construire

Un grand nombre de membres originels de la communauté de NDDL auraient voulu récupérer ou racheter beaucoup plus de terres. Ils auraient ainsi été en mesure de reformer une communauté aussi nombreuse, autosuffisante et durable que possible. Le tout sur un espace qu’ils maîtriseraient, sans entrave extérieure abusive. Ces personnes, soucieuses d’une biodiversité optimale, d’une agriculture bio innovante et de circuits courts non parasités par la grande distribution, n’auraient gêné personne, au contraire.

La plus grande partie des terres étant publiques, cette redynamisation rurale avait toutes les chances de réussir à long terme. Dans le futur, elle aurait pu servir d’argument pour légitimer une redistribution de terrains agricoles privés : ceux dont les propriétaires n’ont pas besoin pour vivre bien. Une sorte de remembrement juste et équitable pour tous. Histoire de briser, une bonne fois pour toute, le caractère socialement destructeur d’une propriété privée sacralisée jusque dans ses excès les plus extrêmes. Mais l’Etat et ses défenseurs pro-riches remettraient là en cause deux piliers de leur identitée : leur obscénité économique et leur cruauté sociale.

À NDDL, la violence exercée par l’Etat et par ses serviteurs prive les zadistes et leurs soutiens de quelque chose de fondamental dont beaucoup auraient pu s’inspirer. Ce quelque chose n’a rien d’arrogant ; il n’a rien d’un privilège à réserver à une minorité : il s’agit d’une véritable autonomie, individuelle et collective, impliquant un maximum de gens, sur un territoire suffisamment vaste. A l’image des Amérindiens, les zadistes restants sur NDDL se contentent de miettes, sous contrôle, dont ils peuvent perdre l’usage si l’autorité (l’Etat en premier lieu) le décide.

2018, after the evacuation: Two persons who chose to stay after the loss of about 70 percent of the original NDDL landbase and the ban on land ownership by the NDDL community or willing individual buyers.
2018, après l'évacuation : ces deux personnes ont préféré rester malgré la perte d'environ 70% de la superficie occupée par la communauté originelle et malgré l'interdiction du rachat de terrain public.

Les similitudes entre la situation territoriale des Amérindiens aux Etats-Unis fin 19ème siècle et celle des zadistes de NDDL sont bluffantes. Votée en 1887 par le Congrès américain, la loi Dawes fut imposée par les Etats-Unis dans 118 réserves indiennes. Avec cette loi, chaque Amérindien recevait une parcelle, nettement plus grande (64 hectares pour un homme) que celle des zadistes. Au sein des 118 réserves, les vastes terres non attribuées aux Amérindiens revinrent au gouvernement fédéral américain, qui en disposa à sa guise (pour les ouvrir aux colons, etc.).

La plupart des parcelles amérindiennes ne sont pas devenues la propriété privée des autochtones. Non, aujourd’hui encore, le gouvernement fédéral en détient la majorité, en fiducie, pour le compte et le bénéfice des Amérindiens, selon un système plus ou moins proche du bail. A ceci près, entre autres, que les Amérindiens n’ont pas de loyer à payer. Les zadistes, si ! Quand la France va plus loin dans l’arnaque foncière que l’Amérique génocidaire d’antan… A l’automne 2019, seulement 24 baux agricoles ont été signés par les zadistes encore présents à NDDL. Philippe Grosvalet, président du conseil départemental de Loire-Atlantique, ex-supporter inconditionnel du projet avorté d’aéroport, s’en est félicité, au nom, notamment, de la « conservation du bocage »…

L’Etat français d’aujourd’hui est un tueur, tueur de cultures possibles, tueur de sociétés possibles, tueur d’imagination, tueur de belles vies harmonieuses, réalistes et méritées, pour un maximum de gens. Une forme de génocide socio-culturel, en somme.

Au final, l’Etat et ses suiveurs ne changent pas : ils restent malades, atteints du virus de l’autorité malavisée et injuste. Ils l’inoculent à autrui avec une cruauté calculée, parfois teintée de sadisme.

Il serait bon de remplacer l’Etat par des nations justes, équitables, équilibrées. Il serait bon, dans le même temps, de laisser vivre nos opposants et nos ennemis sur des territoires différents et équitablement partagés, en les respectant : sans les spolier, comme eux l’ont fait avec des millions d’entre nous pendant tellement longtemps ; sans leur imposer, chez eux, nos armes et nos lois. La paix, vous comprenez ? Il serait temps…

Sources

Barbier, N., 2013Les problèmes de gouvernance dans les réserves indiennes aux Etats-Unis, pp.106-111. In L’Amérique du Nord, Un Atlas – Clefs Concours Capes-Agrégation, Atlande, 157 p.

De la Casinière N., 2019. Les zadistes veulent acheter les terres de Notre-Dame-des-Landes. Reporterre. 25/2/2020.

France Info, 2018. Notre-Dame-des-Landes : 500 personnes manifestent leur soutien aux zadistes à Nantes. 26/2/2020.

France Info, 2018. Notre-Dame-des-Landes : évacuation en cours. 26/3/2020.

France 3 Pays de la Loire, 2019. Notre-Dame-des-Landes : Zad, un an après. 25/3/2020.

France 24, 2020. Notre-Dame-des-Landes : que reste-t-il des idéaux de la ZAD ? 25/3/2020.

Guimard E., 2019. Notre-Dame-des-Landes : la ZAD redevient agricole et bio. Les Echos. 24/2/2020.

Leussier L. and Lusseau J., 2019. À Notre-Dame-des-Landes, une première victoire pour préserver les terres agricoles. Reporterre. 24/2/2020.

Terre-net et AFP, 2019. 24 baux ruraux signés sur le territoire de l’ancienne ZAD. 26/3/2020.

 

Et pour aller plus loin sur le sujet, deux idées. Vous pouvez en développer d’autres… ou vous en inspirer :

 

Barbier N., 2018 [a]. A new kind of peaceful territories (7/2018). ventdouxprod. 2/25/2020.

Barbier N., 2018 [b]. Projet à partager : « Terres ensemble » (1/2018). ventdouxprod. 2/25/2020.

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