Hautes-Alpes 2 – Autos, ovins et gros proprios (6/2018)


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Autos, ovins et gros proprios : tiercé gagnant haut-alpin (avant gueule de bois)

 

2. Étés ovins

Dans les Hautes-Alpes comme ailleurs, on peut toujours mettre l’accent sur les réussites environnementales et sociales : la protection adéquate de certaines espèces de faune et de flore sauvages ; l’accueil de migrants au sein de groupes organisés ou de familles ; les efforts de petits paysans et de « consomme-acteurs » pour pérenniser une agriculture biologique locale ; la collecte et le traitement du compost à l’échelle municipale, etc. Mais il s’agit souvent de phénomènes minoritaires. Jamais ils ne s’inscrivent dans un mode de vie vraiment équilibré aux niveaux environnemental et social. Nous n’avons pas à imposer ce mode de vie à d’autres, mais nous avons besoin de le concrétiser sans les obstacles d’opposants haineux. L’immense iniquité sociale ancrée dans les systèmes économique et juridique en place et la gestion malavisée prédominante de l’environnement nous barrent la route. Pour libérer les personnes qui le souhaitent de ces fardeaux, encore faut-il les identifier et les expliquer le plus clairement possible. Cela nous aidera à minimiser la coopération avec l’ordre malsain établi et à enraciner des solutions dans nos vies, en accord avec nos besoins en tant qu’êtres humains et avec ceux de l’environnement. Ce sont les deux objectifs de cette série d’articles sur les Hautes-Alpes.

1. Conduite accompagnée vers le réchauffement climatique

3. Et tout en haut la bassesse des gros proprios

4. Migrants sauvages malvenus

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Hautes-Alpes - 2ème partie (6/2018)

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DANS LES HAUTES-ALPES, LES ADORATEURS D’OVINS sont peut-être bien aussi nombreux que les car lovers. Il faut dire que les deux partagent une idéologie commune. A leurs yeux, l’environnement est au mieux secondaire. Il arrive toujours derrière l’économie. Parfois, il est relégué bien plus loin dans leur liste de priorités.

En 2015, la population ovine du département culminait à 260 000 têtes. C’est quasiment le double de sa population humaine. Moins de 600 éleveurs se partagent ce cheptel. En été dans les Hautes-Alpes, les troupeaux occupent près de 200 000 hectares d’alpages, ces espaces enherbés, parfois parsemés d’arbres, généralement compris entre 1800 et 3000 mètres d’altitude. Ils n’épargnent pas grand chose, ni les zones Natura 2000, ni même le parc national (!) des Ecrins. Chaque été, les éleveurs d’ovins accaparent 36% de la superficie des Hautes-Alpes et colonisent les trois-quarts de ses alpages, de ses prairies et de ses parcours[1]. Dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), la production ovine est composée à 80% d’agneaux de boucherie (Agreste, 2010, p.3 ; Chambres d’agriculture PACA, 2017 [a] ; MRE, 2012 et 2013 ; Natura 2000 Hautes-Alpes ; Parc national des Ecrins, 2018 ; Préfet des Hautes-Alpes, 2013). 

L’élevage ovin haut-alpin, industriel par son ampleur, n’est que partiellement « local ». Dans les Alpes en général, seul un tiers des troupeaux occupent un alpage dans leur commune d’origine. Un autre tiers est d’origine extra-communale, mais provient du département. Le dernier tiers vient d’ailleurs (Irstea et al., 2016).

En pays haut-alpin, 77% des surfaces broutées par les 260 000 ovins appartiennent aux communes. Généralement, celles-ci déroulent le tapis rouge en leur louant la terre à prix amical : les contrats de bail descendent jusqu’à 8 euros par hectare et par an. Pour 1300 brebis sur une saison d’estive dans les Alpes du sud, il faut compter 3 euros par brebis (Agreste, 2010, p.3 ; Chambres d’agriculture PACA, 2018 [a] et 2017 [b] ; Irstea et al., 2016).

Chaque début d’été, le même spectacle fait décamper une bonne partie de la faune sauvage : la ruée des moutons vers les vertes prairies haut perchées (photo 4). Répétée chaque année, la ruée a bouleversé les innombrables écosystèmes pâturés.

Photo 4

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En 14 heures de pâture, un troupeau de 500 brebis produit environ une tonne d’excréments. Leurs dégâts varient selon leur concentration dans l’espace et selon la nature des terrains. Les ovins aiment gambader sur les crêtes, à travers les bosquets et au milieu des éboulis. Ils y dégradent les sols et une végétation souvent maigre. Nos têtes bouclées affectionnent aussi les zones humides, plus fragiles, en particulier les abords des cours d’eau (photos 5). Même en parc national, il est courant que les torrents ne soient pas protégés par des barrières (Lapeyronie et Moret, 2007, p.206-208).

Photos 5

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois étés ovins accès eau pollution brebisPartout où ils vont dans les alpages et les prairies d’altitude moyenne, les troupeaux ovins détériorent les écosystèmes, à des degrés divers selon les lieux (photos 6) :

  • Ils réduisent la biodiversité, font disparaître certaines espèces florales et contaminent des espèces animales.
  • Ils polluent les eaux superficielles et souterraines.
  • Ils entraînent un excès d’azote dans les milieux pâturés.
  • Ils compactent les sols en les piétinant. Par conséquent, leur capacité de rétention de l’eau s’amoindrit. Ce phénomène s’accompagne d’une diminution des échanges d’éléments nutritifs entre sols et plantes.
  • En réduisant la végétation, voire en dénudant les sols, les troupeaux déclenchent l’érosion, bien souvent en rigoles ou en ravines. D’où des sols appauvris en matières nutritives et organiques (Lapeyronie et Moret, 2007, p.206-208 ; Monbiot, 2014, p.70, 210 ; Wilshire et al., 2008, p.80-81).

Photos 6

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois étés ovins dégradation végétation alpagesL’élevage ovin garde sa place dans les Hautes-Alpes. Mais si l’on entend respecter les écosystèmes des alpages, son emprise spatiale doit être restreinte. Avec une superficie pâturée réduite de 80%, soit 40 000 hectares d’alpages tout de même, les gains écologiques seraient multiples :

  • Meilleure rotation interannuelle des pâtures, d’où des dégâts amoindris.
  • Arrêt des pâtures dans les écosystèmes les plus fragiles.
  • Zones humides fermées aux troupeaux au moyen de barrières légères et démontables associées à l’installation d’abreuvoirs (l’abreuvoir et la barrière, un progrès incertain pour le 21ème siècle…).
  • Réappropriation des zones ainsi libérées par la faune et par la flore sauvages en été, etc.

Contrairement aux idées reçues, le poids économique de l’élevage ovin dans les Hautes-Alpes est faible. Il emploie 1500 à 1800 personnes, saisonniers inclus, soit environ 12 fois moins que les professions intermédiaires et 10 fois moins que les employés. La valeur de la production ovine y est estimée à 20 millions d’euros annuels (dont 1/4 de subventions sur les produits), soit à peine 12% de la production agricole haut-alpine totale. Côté élevage biologique, on atteint tout juste le premier lacet du col : en 2014, moins de 7% du cheptel était labellisé agriculture biologique (Insee, 2016 [a] ; Agreste PACA, 2016, p.13, 25, 34).

Ajoutons à ce tableau une « touche personnelle ». Elle témoigne de la violence mal dissimulée entretenue par l’alliance éleveurs-élus locaux. Le 23 mai 2018 à l’office du tourisme du Guillestrois et du Queyras, j’ai exposé les grandes lignes (et certains détails) d’un projet touristique et écologique. Etaient présents la directrice de l’office, le maire de Ristolas (M. Christian Laurens) et un adjoint au maire de Guillestre (M. Dominique Moulin). Le projet, intitulé Itinérance entre Queyras et Ecrins, consisterait à implanter une dizaine de campements d’une quarantaine de places chacun entre 1000 et 2500 mètres d’altitude. Ils seraient mis en place en bordure de sentiers et de pistes forestières, à bonne distance (plusieurs kilomètres) de tout lieu habité. Je prévoyais de les positionner le long de circuits attractifs.

Sur place, randonneurs et vététistes profiteraient du cadre montagneux inhabité. Ils y trouveraient un minimum d’équipements légers payants :

  • Tentes et matelas à louer en casiers sécurisés.
  • Portiques à vélos et antivols.
  • Douches solaires.
  • Toilettes sèches.
  • Petits préaux et tables de camping, etc.

Les sites seraient localisés en terrain communal, principalement en alpages (photo 7), mais aussi en prairie d’altitude moyenne.

Photo 7

ventdouxprod 2018 nicolas barbier hautes-alpes autos ovins gros proprios tiercé gagant haut-alpin avant gueule de bois étés ovins itinérance queyras ecrinsSans autorité décisionnelle, la directrice de l’office du tourisme a reconnu le mérite innovant du projet. Les deux élus, eux, l’ont catégoriquement rejeté. Ils ne s’y opposent pas à cause de complications d’ordre sécuritaire, de la gestion de l’eau des douches en altitude, de restrictions liées aux feux de camp ou en raison du financement. Ils savent que le financement n’a rien d’une sinécure. Mais si près de vingt communes du Queyras et des Ecrins s’y mettent, l’obstacle peut être surmonté.

Le motif principal du « non » des élus est bien différent : ils donnent la priorité absolue à l’élevage ovin sur la quasi totalité des alpages et des prairies d’altitude moyenne. La concrétisation de mon projet obligerait les éleveurs à mieux partager les vastitudes caressées par les nuages. Et ça, pas question. L’attitude et les propos du maire de Ristolas m’ont fait penser à ceux d’élus de l’Ouest américain que j’ai rencontrés pour réaliser un film documentaire il y a quelques années. Comme si il voulait se « protéger » par des barbelés à troupeaux. Comme si il était prêt à faire appel au duo armé éleveurs-gendarmes au cas où. Juste une perception personnelle. L’adjoint au maire de Guillestre, moins ouvertement hostile dans son comportement, soutenait néanmoins toujours le maire de Ristolas.

Les deux élus m’ont vaguement proposé de réduire mon projet à des annexes aux campings existants. Ce faisant, mon projet serait dénaturé, perdrait sa dimension écologique primordiale et l’essentiel de ses intérêts économiques et sociaux. Il se limiterait à une sorte de plus-value commerciale au profit des campings, privés et municipaux.

Je n’ai pas obtenu de réponse positive des autres maires du Queyras et du pays des Ecrins que j’ai contactés. En fin de compte, je me suis heurté à trois formes de violence entretenues par l’union éleveurs-élus locaux. La plupart d’entre eux la cultivent :

  • La violence écologique : ils défendent une activité dans ses excès actuels, responsables de la détérioration des alpages et des prairies d’altitude moyenne.
  • La violence territoriale : ils réquisitionnent des immensités pour un usage discriminatoire, par ailleurs ultra-minoritaire en termes d’impact économique régional.
  • La violence sociale : ils bloquent des projets porteurs sur les plans écologique, économique et social. En l’occurrence, le mien est créateur d’emplois et ouvert aux personnes à petit budget. Il est profitable aux commerces locaux (de bouche, d’articles de sport, etc.). Il l’est également pour les communes qui devraient en tirer des bénéfices substantiels après 6-7 ans avec une communication efficace. Enfin, ce projet n’émet pas de gaz à effet de serre[2] (tous à pied ou à vélo tous terrains) en dehors de la maintenance légère des sites.

Mon projet cause un autre souci aux élus locaux. Ils surveillent la concurrence sur le marché locatif destiné aux touristes. Leurs motifs d’inquiétude semblent à la fois électoralistes (les nombreuses familles propriétaires qui louent aux touristes) et économiques (surtout en faveur de la clientèle pleine aux as). Ils préfèrent un développement touristique indolore pour l’élevage, alléchant pour les classes supérieures et à haute rentabilité probable.

L’hôtel de luxe Alta Peyra à Saint Véran est un bon exemple (photos 8). L’extension du réseau neige de culture en est un autre (2 millions d’euros d’investissement à Montgenèvre ; 4,9 millions à Orcières ; 2,2 millions à Risoul, etc.). Citons-en un troisième à l’image de la résidence Sporting à Serre-Chevalier : 400 lits et 11,2 millions d’euros pour « répondre aux nouveaux standards de qualité ». Autant de projets qui s’intègrent bien dans l’orientation économique régionale actuelle (Caisse des dépôts, 2015 ; TPBM, 2017).

Photos 8

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Selon mes calculs, avec un taux de remplissage des campements de 40%, mon projet devrait coûter 1,5 millions d’euros sur dix ans et rapporter 2 millions d’euros au bout de la même période. Si vingt communes le soutenaient, il coûterait 7500 euros par an et par commune, soit à peu près 4% du prix moyen d’une maison de 100 m² dans le coin. Avec deux hectares par campement, son emprise spatiale ne dépasserait pas les 20 hectares au total. Cela représenterait 0,01% de l’espace occupé par l’élevage ovin en alpages haut-alpins en été (MeilleursAgents.com, 2018).

En coordination avec l’Etat français, un pourcentage élevé d’élus locaux, et donc de votants, de gros éleveurs et proprios et d’autres nantis accordent leurs violons pour rester les maîtres dans « leurs » montagnes.

Sources

Agreste PACA, 2016. Mémento de la statistique agricole. 19/5/2018.

Agreste, 2010. Portrait agricole : les Hautes-Alpes. 16/5/2018.

Caisse des dépôts, 2015. Hautes-Alpes : développer l’immobilier de montagne, une 1re pierre et une étude. 30/5/2018.

Chambres d’agriculture PACA, 2018 [a]. Locations des terres agricoles. 16/5/2018.

Chambres d’agriculture PACA, 2017 [a]. Productions animales. 16/5/2018.

Chambres d’agriculture PACA, 2017 [b]. Elevage ovin. Une filière dynamique dans un contexte socio-économique difficile. 31/5/2018.

Insee, 2016 [a]. Dossier complet – Département des Hautes-Alpes (05) : FAM T2 – Ménages selon la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence en 2014. 19/5/2018.

Irstea et al., 2016. 3000 alpages/estives dans le massif des Alpes. 16/5/2018.

Lapeyronie P. et Moret A., 2007. Protection des troupeaux et impacts environnementaux. In Garde L. : Loup – Elevage : s’ouvrir à la complexité. Eds. CERPAM. pp.202-211. 16/5/2018.

MeilleursAgents.com, 2018. Prix immobilier à Guillestre (05600). 8/6/2018.

Météofrance, 2018. L’effet de serre. 11/6/2018.

Monbiot G., 2014. Feral: rewilding the land, sea and human life. Penguin Books. 317 p.

MRE, 2013. Projet « élevage 2020 ». 16/5/2018.

MRE, 2012. La filière ovine en PACA. 16/5/2018.

Natura 2000 Hautes-Alpes, 2012. Natura 2000 Hautes-Alpes. 16/5/2018.

Parc national des Ecrins, 2018. Les alpages. 16/5/2018.

Préfet des Hautes-Alpes, 2013. L’agriculture haut-alpine. 16/5/2018.

TPBM, 2017. Les stations investissent massivement dans la neige de culture. 30/5/2018.

Wilshire H. et al., 2008. The American West at Risk. Oxford University Press. 619 p.

ventdouxprod 2018, tous droits réservés

Notes de bas de page

[1]  « Les parcours correspondent à toute surface en herbe utilisée quelle que soit l’altitude, pâturée une partie de l’année ou en intersaison » (Agreste, 2010, p.3).

[2] « Les deux tiers de l’énergie en provenance du soleil sont absorbés par l’atmosphère, les sols et l’océan. Le tiers restant est directement réfléchi vers l’espace par les nuages, les aérosols, l’atmosphère et la surface terrestre. Atmosphère et surface terrestre émettent en retour un rayonnement infrarouge que les nuages et les gaz à effet de serre (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, ozone et méthane pour les plus importants) absorbent et réémettent en grande partie vers le sol. Les gaz à effet de serre ont en effet la particularité d’être pratiquement transparents au rayonnement solaire et opaques au rayonnement infrarouge émis par la terre. L’énergie est piégée. Ce phénomène a été baptisé effet de serre » (Météofrance, 2018).