Ni un détail, ni un curieux hasard de l’histoire (7/2019)


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Nazisme et France dominante d’aujourd’hui : ces priorités socio-économiques proches ou identiques

LES COURS D’HISTOIRE SUR LE NAZISME que j’ai suivis au lycée expliquaient plutôt bien, dans l’ensemble, l’expansionnisme militaire et le génocide des Juifs d’Europe.

En revanche, j’ai toujours trouvé pour le moins étrange, sinon suspect, que le programme d’histoire néglige autant le système économique nazi. C’est toujours le cas dans le programme d’histoire en 1ère ES et L au lycée (Education nationale, 2015).

Une question m’intéresse : y aurait-il quelque chose de vraiment gênant pour l’Etat français, pour ses défenseurs et ceux de notre système économique dans les priorités socio-économiques nazies, ainsi que dans l’idéologie et dans le système de valeurs sous-jacents ?

L’industrie nazie de l’armement, aussi importante fut elle, n’était qu’une composante de ce système économique. Dans les années 1930 et au grand maximum (1939), moins de 20% du produit national brut allemand était consacré à l’armement, jamais plus. La moyenne s’élevait à 10% par an entre 1932 et 1939. En 1933, Hitler s’est hissé à la tête de l’Allemagne en tant que chancelier (Hentschel, 1997).

Le système économique nazi reposait, comme le voulait Hitler et ses sbires, sur l’ensemble du tissu industriel national, mais aussi sur l’administration, sur l’agriculture, sur les travaux publics, etc.

A propos des fondations et des ressorts de l’économie nazie, l’historien Volker Hentschel (universités de Mayence et Paris 3) ajoute :

« Les moyens de production devaient rester la propriété d’entrepreneurs et de bailleurs de fonds privés et le restèrent. L’économie sous le Troisième Reich n’était pas […] une économie planifiée et administrée par l’État. […] La liberté de décision de l’économie privée et la libre concurrence restaient, en principe, acquises, mais […] l’État se réservait le droit d’intervenir dans le processus du marché par des mesures dirigistes » (Hentschel, 1997).

Le but de ce court article n’est ni d’analyser le système économique du Reich génocidaire, ni d’étudier l’influence de la crise économique allemande dans l’arrivée d’Hitler à la chancellerie. Non, je m’attache avant tout aux priorités socio-économiques du régime nazi et à l’idéologie qui les soutient.

Pour cela, j’ai sélectionné ci-dessous les extraits parmi les plus significatifs d’un long discours prononcé par Hitler le 10 décembre 1940. Ce discours clé, « curieusement » méconnu, met en lumière la « logique » vénéneuse nazie dans la sphère socio-économique. Le plus grand serial-killer génocidaire de l’histoire l’a prononcé devant des travailleurs Berlinois à l’apogée de son Reich dément.

Hitler y encense le travail en tant que tel. Il encense tous les travailleurs, mais  davantage encore les meilleurs travailleurs (comprendre les meilleurs exécutants du programme en place). Il encense la production ininterrompue. Il encense l’ascension sociale des gens issus de milieux populaires. Il recherche la compétitivité allemande au niveau international (Internet archive, 2012, p.99-111).

Au nom de quoi Hitler encense-t-il tout cela ? Au nom du travail comme valeur supérieure. Au nom de l’unité nationale. Au nom d’un confort matériel toujours croissant. Au nom de la puissance économique allemande à l’échelle internationale (Internet archive, 2012, p.99-111).

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Si vous souhaitez lire la totalité du discours, il est disponible, en anglais, à cette adresse internet. Cette version traduite de l’allemand appartient à des archives américaines issues de la bibliothèque digitale Internet archive (bibliothèque membre de l’American Library Association). Je l’ai donc partiellement traduite en français, en faisant attention à ne pas sortir les mots de leur contexte. Je fournis le texte anglais en notes de bas de pages (Internet archive, 2012, p.99-111).

A. Hitler: « Par conséquent, pour nous, l’unité nationale constituait une condition essentielle à la coordination des pouvoirs inhérents à la nation allemande, afin que le peuple allemand prenne conscience de sa grandeur, de sa force, qu’il reconnaisse ses revendications vitales, qu’il les expose et qu’il recherche l’unité en recourant à la raison »1.

« Quand j’ai pris les rennes du gouvernement, je m’accrochais à un seul espoir : l’efficacité et les facultés de la nation allemande et du travailleur allemand, l’intelligence de nos inventeurs, de nos ingénieurs, de nos techniciens et de nos chimistes, parmi tant d’autres. J’ai construit sur cette force qui fait marcher notre système économique »2 .

« La capacité allemande à travailler constitue notre or et notre capital et, avec cet or, je peux concurrencer avec succès n’importe quelle autre puissance dans le monde. Nous voulons vivre dans des maisons qui restent à construire. Et donc les travailleurs doivent les construire et les matières premières nécessaires doivent être fournies par le travail. Tout mon système économique est bâti sur la conception du travail »3.

« La valeur de la monnaie allemande […] est aujourd’hui supérieure à celle de l’or lui-même. Cela implique une production ininterrompue. Nous la devons au fermier allemand, qui travaille de l’aube au coucher du soleil. Nous la devons au travailleur allemand, qui nous a donné sa force toute entière »4.

« Le travail d’un homme permet à un autre de vivre et de continuer à travailler. Lorsque nous aurons optimisé la capacité de travail de notre peuple, chaque travailleur obtiendra de plus en plus de biens matériels du monde entier »5.

« Nous avons réintégrer sept millions de chômeurs dans notre système économique ; nous avons converti six autres millions de personnes, qui jusqu’alors travaillaient à temps partiel, au temps complet ; nous faisons même des heures supplémentaires »6.

« Mes compatriotes, nous construisons aussi un monde, un monde de travail en commun, un monde d’efforts mutuels, un monde d’aspirations mutuelles et de devoirs mutuels »7.

« Il n’y a pas que dans la vie ordinaire [en dehors de l’armée] que nous sommes parvenus à nommer les meilleurs pour chaque poste. Nous avons des gouverneurs [très hauts fonctionnaires étatiques] qui étaient des ouvriers agricoles ou des serruriers. […] Nous avons des généraux qui étaient de simples soldats ou de petits officiers il y a 22 ou 23 ans […]. C’est un autre exemple de dépassement de tous les obstacles sociaux. C’est ainsi que nous construisons notre vie, pour le futur »8.

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Un vague sentiment de gêne commence à s’immiscer dans vos circuits neuronaux ? Ou bien est-ce quelque chose de bien pire, de plus profond, qui vous touche ?  Ou encore, peut-être bien que vous vous dites : « Cet Hitler, finalement, il avait aussi de bons côtés »…

A quoi bon nier les points communs entre le discours hitlérien sur l’économie et la société et des discours actuels de certains leaders politiques et économiques ? Au-delà des discours, à quoi bon nier certains objectifs, certaines priorités similaires ?

Je ne vais pas vous faire une étude comparative agrémentée par les discours récents de « leaders » de premier plan. Mon but n’est pas de tout vous apporter sur un plateau, mais de stimuler votre réflexion sur des sujets qui méritent cette réflexion. Je me contenterai de quelques mots du premier ministre Edouard Philippe, suivis de ceux du président Emmanuel Macron, au début de la « crise » des gilets jaunes, respectivement fin novembre et début décembre 2018.

E. Philippe : « Il faut désormais retisser l’unité nationale par le dialogue, par le travail, par le rassemblement » (20 minutes, 2018).

E. Macron : « Nous voulons bâtir une France du mérite, du travail, une France où nos enfants vivront mieux que nous » (Le Monde, 2018).

Au-delà de ces « leaders », pour certains d’entre vous et probablement pour beaucoup, il existe un autre enjeu. A quoi bon nier le fait que certains aspects de votre conception du travail, de la réussite sociale, voire d’objectifs de confort et de consommation, jusqu’à l’excès, se rapprochent de ceux du Führer aliéné ?

Essayez plutôt de réfléchir au contenu des propos du chef nazi. Vous ne perdrez pas votre temps. Certains d’entre vous ont pu réfléchir à ces similitudes via d’autres sources, mais l’immense majorité d’entre vous ne l’a probablement jamais fait.

Essayez, par exemple, de réfléchir à l’idéologie et aux priorités nazies et françaises dominantes, proches, parfois identiques, relatives au travail, aux travailleurs et à l’économie en général. Essayez de réfléchir au poison que cette idéologie et ces priorités injectent, à haute dose, quotidiennement, « l’air de rien », dans l’esprit d’innombrables personnes non averties, en particulier les adolescents. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un venin inoculé uniquement dans le cerveau des jeunes, loin s’en faut.

Dans les circonstances actuelles, il ne s’agirait pas d’un tel poison si le rappel à l’ordre établi n’était pas assorti de punitions (chômage, pauvreté, marginalisation, etc.) pour celles et ceux qui y adhèrent peu ou pas. Ces punitions sont celles des défenseurs de l’Etat, ces accrocs au vote, un vote de domination lâche, d’obéissance infantilisante ou d’impuissance. Tel qu’il est organisé aujourd’hui, leur vote consolide leur régime punitif étatique. Leur vote entretient de graves conflits dans la mesure où la « majorité gouvernante » impose toujours, par la force et la violence si besoin, sa loi, à tous les autres9.

Aujourd’hui encore, le poison susmentionné, véhiculé par l’idéologie et les priorités socio-économiques dominantes, ne serait pas si toxique si d’autres portes, justes et équitables, étaient ouvertes au plus grand nombre. Elles ne peuvent l’être qu’au moyen d’une redistribution, juste, équitable et durable, des ressources existantes (terres arables, eau, bâti, capital, salaires, etc.) et du travail sensé. En respectant l’autonomie de groupes humains qui la demandent.

Mais toujours règnent cette bonne vieille intolérance, cette bonne vieille cruauté, cette bonne vieille injustice, cette bonne vieille accumulation des richesses par une minorité, ces marées noires de bassesse et de haine sociale, voilées ou affichées, crasses.

Si le discours hitlérien et ses échos contemporains nauséabonds vous laissent indifférent(e), peut-être pourriez-vous vous interroger sur le sens réel de votre vie, sans tabou psychologique, sans blocage mental, sans barrage artificiel venant altérer le cours de votre pensée.

Peut-être, pour certains d’entre vous, s’agira-t-il de tuer le petit Nazillon, dans sa version socio-économique, tapi quelque part dans votre conscience. A votre insu ? Ou plutôt dans votre inconscient ? Ou alors, ne seriez-vous juste que le rejeton désaxé, soit décomplexé, soit inavoué-inavouable, de cette autre abomination nazie, elle-même issue d’autres folies idéologiques ?

Dans tous les cas, sans faire appel un minimum à votre réflexion et à votre imagination (et non « à la raison », chère à Hitler), vous vous exposez à la manipulation par des leaders de pacotille, dont les programmes nuisent à des millions de personnes en France. Au pire, vous collaborez activement avec eux. Au nom de quoi ? Devinez…

Sources

20 minutes, 2018. «Gilets jaunes»: Macron va proposer des «mesures» pour «retisser l’unité nationale» selon Edouard Philippe. 7/11/2019.

Education nationale, 2015. Génèse et affirmation des régimes totalitaires (soviétique, fasciste et nazi). 7/10/2019.

Hentschel V., 1997. L’économie du Troisième Reich. In État et société sous le IIIe Reich. Editors: Gilbert Krebs, Gérard Schneilin. pp.77-89.

Internet archive, 2012. The speeches of Adolf Hitler: 1921-1941. 7/10/2019.

Le Monde, 2018. Verbatim : Le discours d’Emmanuel Macron face aux « gilets jaunes ». 7/11/2019.

Notes de bas de page

1. « For us, therefore, national unity was one of the essential conditions if we were to co-ordinate the powers inherent in the German nation properly, to make the German people conscious of their own greatness, realize their strength, recognize and present their vital claims, and seek national unity by an appeal to reason ».

2. « When I took over the government, I had only one hope on which to build, namely, the efficiency and ability of the German nation and the German workingman; the intelligence of our inventors, engineers, technicians, chemists, and so forth. I built on the strength which animates our economic system ».

3. « The German capacity for work is our gold and our capital, and with this gold I can compete successfully with any power in the world. We want to live in houses which have to be built. Hence, the workers must build them, and the raw materials required must be procured by work. My whole economic system has been built up on the conception of work ».

4. « German currency […] is worth more today than gold itself. It signifies unceasing production. This we owe to the German farmer, who has worked from daybreak till nightfall. This we owe to the German worker, who has given us his whole strength ».

5. « The work of one man makes it possible for another to live and continue to work. And when we have mobilized the working capacity of our people to its utmost, each individual worker will receive more and more of the world’s goods ».

6. « We have incorporated seven million unemployed into our economic system; we have transformed another six millions from part-time into full-time workers; we are even working overtime ».

7. « My fellow-countrymen, we are also building a world here, a world of mutual work, a world of mutual effort, and a world of mutual anxieties and mutual duties ».

8. « It is not only in ordinary life that we have succeeded in appointing the best among the people for every position. We have Reichsstatthalters who were formerly agricultural laborers or locksmiths. […] We have generals who were ordinary soldiers and noncommissioned officers twenty-two and twenty-three years ago. In this instance, too, we have overcome all social obstacles. Thus, we are building up our life for the future ».

9. Nombre d’accrocs au vote tel qu’il est organisé aujourd’hui et au régime punitif étatique aiment culpabiliser les non-votants. Avant et après l’élection, ces votants s’affalent dans leur fauteuil pour écouter les discours de leurs leaders préférés… Jusqu’à la prochaine élection. Cette suractivité en pantoufles se double de suffisance. Ils ne se donnent généralement pas la peine de réfléchir par eux-mêmes à des projets politiques alternatifs en dehors du programme que leurs leaders leur dictent. D’ordinaire, ils essaient encore moins de stimuler la réflexion d’autrui sur des alternatives politiques. Leur culpabilisation est inoffensive pour les adultes avertis. Parmi les jeunes, en revanche, beaucoup sont vulnérables à ce genre d’agression psychologique. Celle-ci attaque directement leur imagination, l’une de nos plus belles qualités en tant qu’êtres humains, encore fragile car en pleine construction chez les jeunes.

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