Hautes-Alpes 4 – Autos, ovins et gros proprios (9/2018)


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Autos, ovins et gros proprios : tiercé gagnant haut-alpin (avant gueule de bois)

 

4. Migrants sauvages malvenus

Dans les Hautes-Alpes comme ailleurs, on peut toujours mettre l’accent sur les réussites environnementales et sociales : la protection adéquate de certaines espèces de faune et de flore sauvages ; l’accueil de migrants au sein de groupes organisés ou de familles ; les efforts de petits paysans et de « consomme-acteurs » pour pérenniser une agriculture biologique locale ; la collecte et le traitement du compost à l’échelle municipale, etc. Mais il s’agit souvent de phénomènes minoritaires. Jamais ils ne s’inscrivent dans un mode de vie vraiment équilibré aux niveaux environnemental et social. Nous n’avons pas à imposer ce mode de vie à d’autres, mais nous avons besoin de le concrétiser sans les obstacles d’opposants haineux. L’immense iniquité sociale ancrée dans les systèmes économique et juridique en place et la gestion malavisée prédominante de l’environnement nous barrent la route. Pour libérer les personnes qui le souhaitent de ces fardeaux, encore faut-il les identifier et les expliquer le plus clairement possible. Cela nous aidera à minimiser la coopération avec l’ordre malsain établi et à enraciner des solutions dans nos vies, en accord avec nos besoins en tant qu’êtres humains et avec ceux de l’environnement. Ce sont les deux objectifs de cette série d’articles sur les Hautes-Alpes.

1. Conduite accompagnée vers le réchauffement climatique

2. Etés ovins

3. Et tout en haut la bassesse des gros proprios

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Hautes-Alpes - 4ème partie (9/2018)

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IL SUFFIT DE SE PROMENER DÉBUT JUIN pour avoir un premier aperçu du problème. En journée, même les espèces relativement communes, telles que le bouquetin et le chamois, sont rares, voire invisibles. Début juin n’est pas une période de grands flux touristiques et ovins. En cette fin de printemps, on peut se balader dans les forêts subalpines et les alpages pendant des journées entières sans apercevoir le moindre bouquetin ou chamois. 

Ce n’est pas l’habitat potentiel pour la faune sauvage qui manque dans les 5550 km² hauts-alpins. Une grande partie du département compte moins de 5 habitants au km². Pour ne citer que quelques communes, vastes et peu peuplées, Ceillac couvre 96 km² avec 3 habitants/km², Cervières 110 km² avec 2 habitants/km², Champoléon 99 km² avec 1,5 habitants/km², Fressinières 88 km² avec 2,5 habitants/km², Névache 191 km² avec 2 habitants/km², etc[1]. Il faut dire que les cinq villes hauts-alpines principales, aux tailles modestes (Briançon, Embrun, Gap, Laragne-Montéglin et Veynes), regroupent quasiment la moitié de la population du département. Forêts et alpages inhabités couvrent les trois-quarts de sa superficie. Le constat est peu ou prou similaire dans les espaces montagneux voisins, en Savoie, dans les Alpes de Haute-Provence et dans les Alpes italiennes. Dans les Hautes-Alpes, 45% des forêts et 87% des alpages sont des terres publiques (Agreste, 2010, p.3 ; IGN, 2015, p.7 ; Insee, 2016 ; Irstea et al., 2016).

Nombreux sont les Hauts-Alpins opposés à la reconquête de l’habitat disponible par des espèces sauvages. Pour ces locaux-là, un effort significatif de partage territorial avec les animaux sauvages est inconcevable. Que ces animaux se situent ou non en haut de la chaîne alimentaire leur importe peu. Guère sensibles, franchement indifférents ou hostiles aux besoins de la faune sauvage, ces citoyens anthropocentrés ont un allié de choix : les autorités politiques. La plupart du temps, celles-ci soutiennent les dérives citoyennes dommageables au monde sauvage. Commençons par « l’ennemi sauvage » numéro un.

Un martyr

Persécuté par l’Etat français, par la majorité des éleveurs locaux et par les braconniers (généralement peu inquiétés par les élus), mal vu par des hordes de citoyens, ce migrant-là doit faire profil bas partout (photo 15). On lui refuse une densité de population en accord avec les ressources écosystémiques. Aucun parti politique existant ne saurait envisager une gestion équilibrée de l’animal.

Photo 15

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Dans d’autres régions du monde, on cohabite mieux avec le loup. Ici et là dans le nord des Rocheuses états-uniennes, les attaques du loup sur les troupeaux de bovins et d’ovins se sont effondrées. La méthode employée pour y parvenir repose sur plusieurs actions simultanées :

  • L’installation, autour des troupeaux, de barrières électrifiées démontables.
  • L’accrochage, sur ces barrières, de petits drapeaux rouges claquant au vent.
  • L’augmentation du nombre de chiens de protection et des rondes des bergers.
  • L’usage de tirs en l’air et de pétards.
  • Enfin et surtout, les récepteurs GPS posés sur des représentants de meutes permettent une localisation en temps réel de ces meutes. Les éleveurs peuvent ainsi faire pâturer leurs bêtes là où le risque d’attaque est pratiquement inexistant (Barbier, 2014, p.446-448).

Les décideurs français de la gestion du loup choisissent d’ignorer ce genre d’expérience. Leur incompétence ne s’arrête pas là. Elle est aussi scientifique : ils se moquent du rôle du loup au sein des écosystèmes. En l’absence d’étude sérieuse sur cette question en Europe, certains travaux américains, là encore, sont utiles.

Avant le retour marqué du loup dans les Rocheuses américaines en 1996, les zones proches des rivières étaient couramment sur-broutées par les ongulés sauvages. Au Montana et au Wyoming par exemple, le loup a réinvesti ces zones depuis 20 ans. Il y a réduit la présence d’ongulés, et donc leur broutage. La végétation riveraine des cours d’eau en a profité pour se redévelopper, ce qui a eu pour effet d’attirer castors et oiseaux. En outre, grâce au retour du loup, les cervidés, mais aussi les coyotes, ne prolifèrent plus. Dans le même temps, le loup améliore la santé globale des troupeaux de cervidés en éliminant les plus fragiles. Il est en plus bénéfique aux oiseaux de proie qui se nourrissent des carcasses de ses victimes (Barbier, 2014, p.442-443).

En ignorant le rôle écosystémique du loup, les autorités françaises concernées (le ministère de la transition écologique et solidaire) éliminent des opportunités éducatives et rentables. Si l’on restaurait des populations lupines en accord avec les écosystèmes existants, des circuits d’observation respectueux du prédateur attireraient forcément petits et grands.

Le ministère de la transition écologique et solidaire et les gestionnaires de terrain se focalisent principalement sur un aspect de la gestion du loup : son impact sur les troupeaux domestiques. Entre janvier 2016 et juillet 2017, en France et toutes victimes confondues (ovins, bovins, caprins, équidés, porcins), le loup a tué 10 200 animaux domestiques. La plupart sont des ovins. Même en région PACA, de loin la plus touchée avec 7200 ovins tués en 2017, les loups ont prélevé moins de 0,9% d’un cheptel ovin régional estimé à 786 000 têtes. Pour chaque ovin tué par un loup, l’éleveur concerné est plus que bien indemnisé : en moyenne, il reçoit 310 euros, soit davantage que la valeur marchande moyenne de l’animal (Agreste PACA, 2018, p.21 ; DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, 2018 [a] et [b] ; Enault et Rasplus, 2017 ; Mines-Paristech, 2013).

Bien que minimes, les pertes en cheptel émeuvent notre Etat, grand partisan d’un élevage excessif et mal géré devant l’Eternel. En 2018, l’ex-ministre Nicolas Hulot, saint patron des faux écolos, a confirmé la volonté de l’Etat de minimiser la population lupine.  Alors que la France abrite entre 300 et 400 loups, il a autorisé l’abattage de 40 d’entre eux chaque année pendant six ans. L’inertie violente de la gestion nationale du loup n’est pas prête de s’arrêter (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018, p.6, 11).

Moins médiatisées que le loup, d’autres espèces méritent notre bienveillance. Très peu sont les montagnards, sans parler des élus locaux, prêts à la leur accorder. La loutre, l’ours et le cheval sauvage font partie de ces espèces. Elles ont leur place ici. Je ne parle pas d’une place symbolique, sur les modèles de l’ours des Pyrénées ou du saumon du bassin de la Loire. Les actions de restauration en leur faveur font pitié tant elles sont inadéquates. Non, je parle d’efforts notables des habitants au profit d’animaux sauvages.

Comité inhospitalier

Autrefois, la loutre était commune dans les rivières, les torrents, les lacs et les marais haut-alpins jusqu’à 3000 mètres d’altitude. Elle en a été évincée au 20ème siècle à cause de la chasse, du piégeage et de la destruction de son habitat. En 2016 et après une longue éclipse, cette nageuse hors pair a effectué une timide réapparition. Quelques individus ont été signalés dans les Alpes du sud (LPO, 2017 ; Parc national des Ecrins, 2017 ; Rigaux, 2013, p.5-7).

Quid, donc, de son habitat ? En rivière, la zone d’activité d’une loutre mâle s’étend souvent sur plus de 20 kilomètres. Il est moins étendu en lac ou en marais. Une profondeur d’eau de 20 centimètres et le courant fort d’un torrent ne lui posent pas de problème. Par contre, elle évite les zones déboisées, intensivement cultivées ou très contaminées. On peut néanmoins la rencontrer près des zones habitées, dans une eau de qualité chimique médiocre, pourvu que le poisson soit abondant (élément majeur de son régime alimentaire[2]) et qu’elle y trouve des gîtes de repos calmes. La mauvaise qualité de l’eau peut perturber sa reproduction. Pour se reproduire, la loutre apprécie les trous dans les berges, les cavités dans les racines des arbres, les piles de rochers ou de bois. La plupart des gîtes de loutres se situent dans les berges, mais elle ne dénigre pas les terriers d’autres animaux, les cavités même artificielles et la végétation très dense (IUCN, 2015 ; Sordello, 2013) .

S’il est interdit de tuer une loutre, aucun plan de restauration n’a été entrepris dans le but de reconstituer des populations abondantes (photos 16). Conjugué à la protection de son habitat,  un tel plan de restauration serait approprié pour deux raisons : le renouvellement de la population de loutres est lent ; elle continue de subir une série de nuisances anthropiques (Rigaux, 2013, p.5-7 ; Parc national des Ecrins, 2017).

Photos 16

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La forte densité de barrages hauts-alpins a détérioré ou éliminé une partie de l’habitat de la loutre. La loutre peut habiter certains lacs de barrage. Mais ils n’ont rien d’un habitat idéal, en raison notamment d’une difficulté récurrente à y établir des gîtes. Indirectement, une transition énergétique respectueuse de l’environnement profiterait à la loutre. Elus et législateurs alpins négligent l’une des alternatives majeures aux barrages : l’hydrolienne de rivière, particulièrement adaptée aux régions montagneuses (photos 17). Conjointement à l’énergie solaire, qui fournit seulement 4% de l’électricité consommée en région Sud, la multiplication d’hydroliennes permettrait de diminuer graduellement la forte densité des barrages nuisibles aux loutres (Cerema, 2017, p.6 ; Idénergie, 2018 ; Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer [EEDDM], 2009, p.17-19 ; Rigaux, 2013, p.5-7 ; RTE, 2017, p.6, 19).

Photos 17

En milieu agricole, une irrigation négligeant les milieux aquatiques environnants assèche l’habitat de la loutre. Protégées en premier lieu par leur topographie, les Alpes du sud sont beaucoup moins touchées que d’autres régions par le ruissellement en champs pesticidés et nitratés. Ce dernier empoisonne néanmoins quelques masses d’eau. Dans les Hautes-Alpes, l’élevage excessif est quant à lui particulièrement néfaste à la loutre : l’eau est contaminée par les excréments ; les berges non protégées sont saccagées par le piétinement et les zones adjacentes en eau peu profonde sont fortement dégradées (Comité de bassin Rhône-Méditerranée, 2013, p.169 ; Département des Hautes-Alpes, 2016 ; Ministère EEDDM, 2009, p.17-19 ; Rigaux, 2013, p.5-7).

En plus de ces nuisances, beaucoup de pêcheurs n’apprécient pas la loutre. Ils l’accusent de consommer trop de poissons. Enfin, la loutre ayant besoin de gîtes de repos calmes, l’industrie des sports en eaux vives devrait épargner certaines portions suffisamment longues de cours d’eau. Ses acteurs consentiraient-ils à lui témoigner ce respect minimal ? Malgré ses tourments, la loutre a un atout : elle ne fait peur à personne. Quand la peur entre en jeu, c’est une autre histoire…

Extermination appréciée par la majorité

Le dernier ours des Alpes françaises a probablement vécu ses derniers instants dans les Hautes-Alpes. Il aurait été abattu près d’Orcières, au sud du massif des Ecrins, en 1895.

Si l’ours revenait par ici, combien de locaux et d’élus le percevraient comme un terroriste sauvage en puissance ? Dans l’est des Hautes-Alpes, la commune spacieuse et quasi déserte de Ristolas accueille avec bienveillance l’élevage ovin excessif. Aucun habitant n’y a jamais vu d’ours flâner entre les troupeaux. Qui méditerait sur l’ours massif du blason communal ? Dans le département, les lieux nommés en référence à l’ursidé exterminé sont nombreux (Fédération française de randonnée pédestre, 2016).

La peur qu’il suscite chez les êtres humains est peut-être son plus grand ennemi. Les attaques mortelles attribuées à l’ours brun d’Europe sont rares. Prenons le cas de la Scandinavie (Norvège et Suède) où l’ours est commun depuis des lustres. En 1850, selon les estimations de l’époque, on en trouvait 4000 à 5000. Entre 1750 et 1962 dans cette région quasiment deux fois plus grande que la France, 27 personnes auraient été tuées par des ours, soit une victime tous les 8 ans (Swenson et al., 1999).

Admettons : l’ours brun d’Europe est un tant soit peu dangereux pour l’homme. Quand bien même, de quel droit l’empêcherions-nous de vivre dans un habitat à faible peuplement humain, là où le risque de rencontre mortelle est extrêmement faible ? N’est-ce pas la question à poser aux personnes qui apprécient son extermination par peur d’une attaque. En Croatie, où sont « domiciliés » 600 à 1000 ours (surtout dans les Alpes Dinariques), un seul accident mortel est survenu entre 1945 et 2007. Pour certains, pour beaucoup, c’est intolérable (Mercier, 2007 ; Pays de l’ours, 2018).

Les attaques sur les troupeaux sont l’autre argument des anti-ours. A l’instar de l’impact du loup sur les troupeaux d’ovins, celui de l’ours est à la fois très faible et bien indemnisé. Aujourd’hui dans les Pyrénées françaises, chacun des 30 ours en âge de chasser tue, en moyenne, moins de trois brebis par an. L’éleveur ayant subi des pertes reçoit 250 euros par victime. Il y a 570 000 ovins dans la portion française du massif Pyrénéen. Chagrinés par les pertes ensanglantées dues au loup et à l’ours, les éleveurs ? Ils ne cessent de montrer des photos d’animaux à moitié dévorés ou égorgés dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Ces éleveurs paraissent étrangement beaucoup moins attristés par les centaines de milliers d’ovins qu’ils transportent chaque année vers les abattoirs français où ils sont découpés en morceaux (Pays de l’ours, 2012 ; Préfet région Occitanie, 2016).

A cause d’une crainte exagérée des attaques sur l’homme et des victimes quasi anecdotiques de l’élevage, la France est tout sauf une terre d’asile pour l’ours. Allons donc voir ce qui se passe chez nos voisins européens.

Dans les Alpes d’Europe orientale, entre Slovénie et Roumanie, l’ours brun ne se contente pas de survivre. Localement, il y prospère. En Slovénie par exemple et sur seulement quelques milliers de kilomètres carrés, 500 ours protégés parcourent les forêts et les prairies montagneuses. Dans le Trentin (Italie du nord), l’ours a été réintroduit avec succès. Entre 1999 et le début des années 2000, une dizaine d’ours slovènes y ont été lâchés. Il bénéficie aujourd’hui d’un havre de choix dans une partie du Trentin alpin (photo 18). Cette région est proche des Hautes-Alpes sur bien des points : densité de population humaine, attractivité touristique, climat, écosystèmes… En 2017, on y dénombrait 50 à 60 ours avec une moyenne de 3,3 ourses pour 100 km² de territoire (Pays de l’ours, 2018 ; Provincia autonoma di Trento, 2018, p.8, 18 ; Trentino, 2018).

Photo 18

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Une réintroduction de l’ours dans les Hautes-Alpes devrait nécessairement privilégier les secteurs moins aménagés et moins touristiques que d’autres. L’ouest des Ecrins dans le Champsaur, le nord du Queyras autour d’Abriès et de Ristolas (images satellite 1 et photos 19) et les espaces contigus (Isère côté Ecrins au nord-ouest ; Haut-Ubaye et Italie à l’est) seraient propices à un retour du carnivore. Ces espaces réunis pourraient vraisemblablement accueillir un effectif similaire à celui du Trentin.

Photos 19

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Images satellite 1

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Avec un plan de réintroduction adapté et à moyen terme, 200 à 300 ours pourraient habiter les Alpes françaises. Si le Jura, le Massif Central, les Pyrénées et les Vosges faisaient l’objet d’efforts similaires, la France pourrait abriter un bon millier d’ours bruns d’Europe. Même à ce stade, on resterait très loin de la densité d’ours de Roumanie où 6000 ursidés se répartissent sur un bon quart du pays. Les montagnes françaises et roumaines sont difficilement comparables en termes d’aménagement et de tourisme. Néanmoins, l’exemple roumain démontre qu’une forte densité d’ours peut s’accommoder d’une présence humaine faible. C’est le cas dans une grande partie des Alpes françaises (Romania Dacia, 2016 ; Şelaru et al., 2017).

Quels arguments supplémentaires les anti-ours pourraient-ils trouver pour vilipender leur ennemi sauvage ? Les pistes de ski alpin, de ski de fond et de ski de randonnée serpentent le long de minces bandes de terre. La plupart ne sont pas empruntées plus de quatre mois par an. Les ours n’iraient pas se pointer au milieu ou à côté d’une piste pour hiberner. Certains itinéraires de ski de randonnée empruntés en mai et juin devraient être abandonnés afin de ne pas empiéter sur l’habitat vital de l’ours. Le pic de la saison touristique estivale est concentré sur juillet-août. Pendant cette période et comme dans les Pyrénées, on peut dénicher une multitude de petites vallées hautes, éloignées des sentiers et des ascensions populaires et où les incursions humaines sont rares. Riches en biodiversité (gibier compris), ces petites vallées pourraient servir de refuges aux ours.

Comme l’ours, le cheval sauvage est exclu d’un habitat qui lui conviendrait. Le retour de cette espèce effleure-t-il seulement l’esprit des Hauts-Alpins autoproclamés amateurs de vie sauvage ?

Plutôt poneys à touristes

Si les 260 000 ovins des Hautes-Alpes libéraient une part conséquente des alpages et prairies qu’ils dégradent tous les ans, les chevaux sauvages pourraient y paître. Les quelques 20 000 chamois du département et les quelques milliers de bouquetins, aux habitats étriqués par les ovins, les imiteraient volontiers. Les forêts clairsemées, riches en fourrage, feraient également partie de l’habitat du cheval sauvage, du chamois et du bouquetin. Pour le moment, les troupeaux de chevaux sauvages galopant en montagne ne peuvent être que le fruit de l’imagination. En France, un tel spectacle est illégal (ONCSF, 2013).  

Il y a 7000 à 11 000 ans, les chevaux sauvages parcouraient le territoire haut-alpin actuel. Avant les grandes phases de domestication du cheval, ils faisaient partie du régime alimentaire des peuples des montagnes (Erenow, 2018 ; Horsetalk, 2015).

Aujourd’hui en Europe, des chevaux sauvages ou semi-sauvages sont confinés dans de petites zones montagneuses. Les espèces adaptées aux conditions montagneuses vivent principalement en Espagne et dans les Balkans. Certaines espèces, comme l’Asturcon au nord de l’Espagne, l’Hutzul dans les Carpathes ou le Pottoka au Pays Basque espagnol, pourraient faire l’objet d’une réintroduction dans les Hautes-Alpes (photo 20). Si ce département bénéficiait d’un plan de réintroduction bien conçu, il pourrait sans problème accueillir quelques milliers de chevaux sauvages. Quelques dizaines de milliers pourraient habiter les Alpes françaises (Rewilding Europe, 2012).

Photo 20

Les chevaux sauvages peuvent prospérer en prairies et en forêts ouvertes d’altitude, que celles-ci soient riches ou pauvres en nutriments. Là où ils sont abondants, bouquetins, chamois et autres cervidés ont tendance à réduire la hauteur de la végétation à la taille préférée des chevaux sauvages. En milieux pauvres en nutriments, la majeure partie de leur régime alimentaire peut se composer d’herbes pauvres et mortes. En éliminant ces dernières, les chevaux sauvages stimulent la repousse, au bénéfice des chamois, des bouquetins et des cervidés (Rewilding Europe, 2014, p.11).

Aux niveaux écologique et économique, il serait logique de rétablir des populations importantes de chevaux sauvages.

Les impacts environnementaux des chevaux sauvages, des chamois, des bouquetins et autres cervidés sont moindres que ceux des ovins qui ravagent d’innombrables pâtures d’altitude chaque année. Il existe deux facteurs explicatifs à cela. Un troisième vient s’ajouter lorsque la faune sauvage est respectée :

  • Une concentration de population moins forte que celle des ovins.
  • Des séjours généralement moins longs sur un périmètre donné. Ils ont tendance à y laisser davantage de végétation après leur passage.
  • Si les populations de prédateurs (loups, lynx, ours, etc.) sont autant que possible en accord avec les proies disponibles, ces prédateurs amenuisent encore davantage les impacts des chevaux sauvages, cervidés, chamois et bouquetins.

Conclusion

Sur un plan économique, quel serait l’effet d’une faune sauvage respectée et restaurée ? Les touristes viendraient probablement nombreux pour contempler ce spectacle. Si les séjours d’observation des chevaux sauvages, des loups, des loutres et des ours sont bien organisés en respectant ces animaux, la région en tirerait des revenus substantiels.

Parallèlement, pourquoi ne pas commercialiser largement la viande des sangliers, des cervidés et des chamois sauvages ? Dès lors que la chasse est strictement contrôlée en termes de pérennité des populations sauvages et sur un plan sanitaire, cette commercialisation serait bénéfique à deux niveaux. Elle ne créerait pas seulement beaucoup d’emplois sensés (chasse, contrôle des populations sauvages, préparation de la viande à la consommation, surveillance sanitaire, etc.). Les consommateurs auraient également accès à une viande de grande qualité en boucherie-charcuterie et dans les restaurants locaux. Ce faisant, ils consommeraient moins d’animaux domestiques et diminueraient donc les nuisances de l’élevage (surconsommation d’espace pour les pâtures et la production de nourriture animale ; émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre, par les bovins ; dégâts écologiques en zones sur-pâturées et dans les masses d’eau voisines).

L’exclusion ou l’extrême rareté d’animaux sauvages autrefois abondants ou communs dans les Hautes-Alpes ont une origine : le désintérêt ou le mépris de la majorité des habitants à leur égard. Il importe peu que ces citoyens soient « de droite », « de gauche » ou écolos verdissants à temps partiel et pro-gros proprios à l’image de Bernard Leterrier, maire Europe écologie-les verts de Guillestre. En règle générale, ces personnes se considèrent comme les dominateurs légitimes du monde vivant non humain. Qu’il s’agisse d’espèces sauvages animales ou végétales, des milieux aquatiques ou des sols, elles adoptent usuellement la même attitude, à moins qu’un danger imminent ne les guette. Elles cherchent presque systématiquement à soumettre le monde vivant non humain et non domestiqué à leurs lois. Envisager une situation inverse de manière régulière exige clairvoyance et humilité, deux facultés qui, pour ce qui concerne le sujet ici traité, leur font défaut.

Ces individus manifestent une arrogance déplacée tout en négligeant une part fondamentale de leur identité en tant qu’êtres humains : notre rôle de garants d’une relation équilibrée, à long terme, entre notre espèce et le reste du monde vivant, anthropisé (une forêt exploitée) et non anthropisé (une forêt primaire), domestiqué (les animaux d’élevage) et non domestiqué (le chamois).

Si individuellement et collectivement nous jouons mal ce rôle, ou bien si nous le minimisons à notre profit à court ou moyen terme, alors nous nous condamnons à une situation malsaine. Celle-ci peut se traduire par un mal-être diffus et latent. Si ce comportement devient ultra-dominant, nous nous exposons à l’autodestruction à plus ou moins long terme. Si la grande majorité des Hauts-Alpins jouaient le rôle susmentionné, alors le cheval sauvage, le loup, la loutre, l’ours et bien d’autres espèces seraient présents en abondance dans le département.

Globalement, les sympathisants « de droite » sont probablement plus cruels que ceux « de gauche » envers la faune sauvage. Mais là n’est pas le problème. Pour leur part, les « gauchistes » ont tendance à positionner leurs droits de l’homme tout en haut de leur hiérarchie. Il ne s’agit pas de remettre en cause la déclaration universelle des droits de l’homme, entre autres textes internationaux sur la question. En termes de droits, elle est tout à fait valable. Mais les textes actuels sur les droits de l’homme passent habituellement nos relations avec le monde vivant non humain sous silence. Or, notre espèce dépend intégralement de ce monde. Aucun texte sur les droits de l’homme n’est éclairé si le monde vivant non humain n’est pas respecté au cœur des dits textes. Pour être éclairés, il leur faudrait clarifier notre rôle de garants de l’équilibre au sein du monde vivant en tant que pilier de notre identité.

Déprogrammer l’arrogance humaine à l’égard du monde vivant non humain nous aiderait à trouver notre vraie place.

Sources

Agreste PACA, 2018. Mémento de la statistique agricole, de la forêt  et des industries agroalimentaires. 1/8/2018.

Agreste, 2010. Portrait agricole : les Hautes-Alpes. 16/5/2018.

Barbier, N., 2014. La cogestion intergouvernementale du Loup Gris au Nord des Rocheuses : L’exemple de l’Etat d’Idaho. In Jean-Marc Moriceau, Vivre avec le loup ? Trois mille ans de conflits, Editions Tallandier, pp.437-448. 30/7/2018.

Cerema, 2017. Le photovoltaïque. 17/9/2018.

Comité de bassin Rhône-Méditerranée, 2013. Etats des lieux 2013. 18/9/2018.

Département des Hautes-Alpes, 2016. Suivi de la qualité des eaux superficielles – Réseau Complémentaire Départemental – Rapport 2016. 18/9/2018.

DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, 2018 [a]. Données sur les dommages du 1er janvier au 31 décembre 2017. 1/8/2018.

DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, 2018 [b]. Victimes indemnisées au 31 décembre 2017. 1/8/2018.

Enault N. et Rasplus J., 2017. Territoire, attaques de troupeaux, bêtes abattues… Trois données pour comprendre la présence du loup en France. France Info. 1/8/2018.

Erenow, 2018. The domestication of the horse and the origins of riding The tale of the teeth. 23/8/2018.

Fédération française de la randonnée pédestre, 2016. La Traversée des Alpes – De la Maurienne à l’Ubaye. Chapitre « Les mammifères disparus ».

Horsetalk, 2015. A wild idea? Should horses be returned to their historic rangelands. 23/8/2018.

Idénergie, 2018. Une source d’énergie continue. Profitez des avantages de l’hydrolienne. 30/7/2018.

IGN, 2015. Résultats d’inventaire forestier – Résultats standards – Les résultats : Hautes-Alpes. 18/9/2018.

Insee, 2016. Populations légales en vigueur à compter du 1er janvier 2017. 24/8/2018.

IUCN, 2015. Lutra lutra. 18/9/2018.

Irstea et al., 2016. 3000 alpages/estives dans le massif des Alpes. 18/9/2018.

LPO, 2017. Découverte de la Loutre d’Europe dans les Hautes-Alpes! 30/7/2018.

Mercier J. P., 2007. Jean Paul Mercier : L’Ours et l’homme : Interaction et Cohabitation en Europe de l’Ouest. La buvette des alpages. 31/7/2018.

Mines-Paristech, 2013. Loup et pastoralisme, cohabitation impossible ? 1/8/2018.

Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer, 2009. Plan National d’Actions pour la Loutre d’Europe (Lutra lutra), 2010-2015. 30/7/2018.

Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018. Plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage. 30/7/2018.

ONCSF, 2013. Les ongulés de montagne en France – Situation en 2010. 25/8/2018.

Parc national des Ecrins, 2017. Le retour de la loutre confirmé en Oisans. 17/9/2018.

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Notes de bas de page

[1] C’est aussi le cas d’Abriès (77 km² pour 4 hbts/km²), de Réallon (72 km² ; 4 hbts/km²), de Ristolas (92 km² ; 1 hbt/km²), de Villar-d’Arêne (77 km² ; 4 hbts/km²), etc, etc. (Insee, 2016).

[2] En dehors du poisson, la loutre consomme des amphibiens, des insectes, des crustacés, etc.